Ecologie, faut-il en passer par une dictature verte?

Dictature verte, écologie anti-humaniste font partie les anathèmes que l’on croise au sein des critiques du catastrophisme écologique. Catastrophisme dont les têtes d’affiche sont, entre autres, la jeune militante suédoise Greta Thunberg (1), l’astrophysicien Aurélien Barrau (2) ou encore l’écrivain Pablo Servigne à l’origine du concept de collapsologie (3). A cela on peut ajouter, entre autres toujours, la mouvance Extinction Rebellion qui prône la désobéissance civile face aux régimes politiques qui n’intègrent pas la menace climatique dans leurs politiques publiques, ou Alternatiba qui préconise de “changer le système, pas le climat”.

Face à cette mouvance se situent des personnes et organisations qui, tout en reconnaissant la réalité d’un dérèglement climatique aux conséquences graves s’il n’est pas contrôlé, et je ne parle donc pas ici de la mouvance dite climato-sceptique “intégriste” dont la tête d’affiche est évidemment Donald Trump, considèrent que la situation ne justifie pas d’un discours alarmiste portant en lui un arsenal de mesures drastiques, imposée par une dictature “verte” mettant à l’arrière plan toute notion de liberté et de démocratie au nom de la préservation écologique et climatique (4).

Ce débat est très complexe car son thème central, l’effet de l’activité humaine sur l’évolution du climat, est le produit d’observations et de conjectures qui ne sont pas testables (car trop complexes) mais dont on peut faire des approximations en partant d’hypothèses nécessairement simplificatrices. Dès lors il est toujours possible de contester ces hypothèses et les modèles mathématiques, nécessairement simplistes eux aussi, qui en découlent (5) (6).

Il est complexe, surtout, de par sa dimension partisane qui rend difficile le positionnement non idéologique. L’anti-capitalisme, regroupant aussi bien la gauche radicale que l’écologie politique et une forme de nationalisme protectionniste, s’allie avec des mouvances (que je respecte totalement par ailleurs) types zadistes, décroissantes ou désobéissantes qui considèrent la catastrophe annoncée comme un sorte de fait établi et rejettent toutes idées de solutions politiques mainstream au nom du principe que ce qui a conduit au problème (le progrès scientifique et technique validé par une politique productiviste) ne peut pas faire partie de la solution d’une part, et d’autre part que la science inféodée au capitalisme (qui la finance) ne proposera jamais rien qui aille à l’encontre de la logique capitaliste qui, par définition, est incompatible avec l’idée de la non-exploitation des ressources naturelles et ne jure que par la production à outrance, la pollution et de la destruction de l’environnement.

A l’opposé le parti des costumes-cravates, tout en reconnaissant l’existence probable, voire certaine, d’un problème de dérèglement climatique aux conséquences potentiellement calamiteuses, doit trouver un équilibre entre la dénonciation catastrophiste et une opinion publique “tiède” qui vote et n’est pas disposée à subir de profondes modifications de son style de vie (7).

Les émissions de gaz à effet de serre ne cessent d’augmenter. Pour préserver le climat et limiter son réchauffement, il faudrait réduire drastiquement notre empreinte carbone jusqu’à ce qu’elle soit nulle. “L’immense majorité des gens sous-estime complètement les efforts qu’il faudrait faire“, constate le climatologue François-Marie Bréon. Certains experts, comme lui, estiment que la lutte contre le changement climatique ne peut se faire dans un système purement démocratique. 

https://www.francetvinfo.fr/meteo/climat/climat-peut-on-sauver-la-planete-en-democratie_3489591.html

Voilà donc le crunch: “La lutte contre le changement climatique ne peut se faire dans un système purement démocratique.

Certes, au niveau de l’Etat il n’existe pas de système purement démocratique, on peut même douter de l’existence d’un système principalement démocratique du fait de la prépondérance de la corruption et des intérêts privés au sein de la haute administration et du pouvoir politique, en France mais pas que. France classée au 21 ème rang sur 180 en 2018 par Transparency International (8), un classement qui risque de prendre une claque en 2019 du fait des multiples abus de pouvoir et affaires louches du régime Macron. Nous gardons néanmoins à l’esprit une certaine idée de ce qui différencie une démocratie d’une dictature, qu’elle soit rouge, brune ou verte.

Principe de réalité.

La question française n’est rien face au fait que les quatre pays les plus importants en matière d’émissions de GES (la Chine, les USA, l’Inde et la Russie), totalisant à eux seuls plus de 50% de ces émissions, jouent avant tout pour leurs intérêts nationaux et ne combattent la pollution que dans la mesure où elle constitue un risque politique interne. Aucun de ces pays n’a de politique visant la réduction drastique de ses émissions, de sa production et de sa consommation de ressources naturelles.

Ce qui n’empêche pas les autres de le faire, mais si un parti politique issu d’un pays tel la France, qui ne représente à l’échelle mondiale que 1% des émissions de GES, proposait un programme drastique de réduction économique il aurait zéro chances d’être élu car l’imposition de mesures pénibles sur sa population ne changerait rien à l’échelle globale, la seule qui compte ici. Alors à quoi bon.

Ce qui n’empêche en rien la mise en oeuvre de mesures de réduction du gaspillage énergétique et de la pollution, mais en dissociant ces problématiques locales de la problématique globale du dérèglement climatique. If faut interdire ici le glyphosate, promouvoir l’agriculture soutenable, augmenter l’efficacité des moteurs etc. car tout cela améliorera les conditions de la vie locale, mais n’impactera pas le climat mondial sur une échelle autre que symbolique. Et cela ne nécessite en aucun cas l’instauration d’une dictature verte, simplement un gouvernement de gens honnêtes. Chose malheureusement peu probable du fait d’un système électoral qui élimine d’office tout ce qui n’est pas en lien avec les grandes forces de l’économie et de la finance, et c’est sans doute à ce niveau-là qu’il faudrait vraiment faire la Révolution (9).

On peut donc discuter à l’envi du lien entre politique écologique et démocratie ici, et même admettre que des règles de fonctionnement restrictives visant le bien commun ne relèvent pas systématiquement d’un déni de démocratie (10), on reste néanmoins prisonnier du fait qu’imposer de telles règles n’a de sens que si elles s’appliquent à une partie conséquente de la population mondiale, et qu’elle devraient idéalement s’imposer à tous les pays du G20 (qui représentent 85% des émissions de GES).

A cette considération globale s’ajoute le niveau de production par habitant. La moyenne mondiale d’émissions de CO2 par habitant est de 4,35 tonnes (11). Un Français est proche de cette moyenne avec 4,38, ce qui est peu en comparaison avec les Canadiens (14,91) les Américains (14,95), les Saoudiens (16,34), etc… Demander donc à des Français de se serrer la ceinture pour réduire leur empreinte alors que d’autres, et la majorité des pays industrialisés, s’en donnent à cœur joie induit un compréhensible sentiment d’injustice voire d’arnaque – et effectivement le régime Macron, par exemple, utilise l’écologie pour justifier d’un racket routier n’ayant en réalité aucun impact sur les émissions de GES, racket ayant surtout eu pour effet la naissance du mouvement des Gilets jaunes.

Bien sûr, ce bon score français est essentiellement lié à l’industrie nucléaire, industrie dont le réel coût écologique n’est pas comptabilisé vu que l’extraction d’uranium se fait ailleurs, et que la problématique des déchets est dissimulée dans les profondeurs de projets débiles dont les futures et catastrophiques conséquences environnementales sont volontairement ignorées par la technocratie et le politique (12).

A l’heure actuelle, au-delà des grands messes des COP, il n’existe aucun mécanisme coercitif susceptible d’imposer une quelconque transition écologique aux pays du G20. La politique écologique de ces pays reste un sous-produit des politiques nationales. Ils réagiront en fonction des impacts sur leurs propres économies, territoires et populations. Donc trop tard, mais nous n’y pouvons strictement rien hors un travail de fond sur l’opinion publique. Et là, d’un point de vue pédagogique, il n’est pas certain que le catastrophisme et l’appel à des politiques hautement restrictives soient la meilleure approche. Il faudrait proposer des approches crédibles et acceptables par des populations qui, majoritairement, ne veulent rien savoir tant qu’elles ne sont pas directement impactées.

Le Green New Deal, info ou intox?

Quelles approches, quelles mesures pour quels résultats et avec quel impact sur le niveau de vie des populations? Le Green New Deal est un peu le fer de lance d’une possible politique européenne puis américaine (depuis sa reprise par les Démocrates en 2018).

Le mouvement Green New Deal For Europe (Un green New deal pour l’Europe) porte le projet d’un Green New Deal à l’échelle Européenne. Il entend fournir aux institutions de l’Union, en particulier à la Banque Européenne d’Investissement, un cadre économique, technique et égal pour la conduite d’investissements importants dans des infrastructures stratégiques et des activités économiques ayant un impact conséquent dans la lutte contre le changement climatique et la gestion de ses conséquences.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Green_New_Deal

Axé sur les énergies renouvelables, et notamment l’éolien et le solaire, le plan de route du Green New Deal se heurte pourtant violemment à la réalité physique et économique. Est-il par exemple sérieusement envisageable de multiplier la production de ces énergies par 90 en 30 ans? Les propositions pour le Green New Deal sont mises en pièces par certains, notamment Mark Mills dont les arguments sont repris dans cet article de Atlantico (13). Ecolos au cœur fragile s’abstenir, c’est déprimant:

Les politiciens affirment pouvoir “planifier une transition énergétique” à l’horizon 2050, alors que, nous l’avons vu, le challenge technologique et industriel est juste insurmontable. 

C’est déprimant, mais est-ce vrai? La science progresse encore dans de nombreux domaines, on voit apparaître des technologies de conversion directe soleil vers hydrogène, ou des prototypes de photosynthèse artificielle bien plus performante que la version naturelle. Reste que le problème technique de fond est qu’un baril de pétrole vide coûte 20 dollars, le pétrole qui est dedans de l’ordre de 100 dollars et qu’il contient l’équivalent de 1 500 Kwh. Une batterie de même puissance de dernière génération, du genre que l’on trouve dans les Tesla, pèserait neuf tonnes et coûterait 200 000 dollars. Sans parler de la problématique géopolitique des terres rares et de l’importante pollution que génère son extraction et son traitement (14).

D’autres solution sont possibles: la fusion nucléaire est un développement en cours avec ITER. Plus exotique, les réacteurs à base de Thorium (15) ou, plus exotique encore, la fusion froide (16). Cependant, à l’heure actuelle, les 2% de la production totale d’énergie à base d’éolien et de solaire, plus les 4% à base de fission nucléaire sont loin, très loin de compenser la consommation actuelle et future de la population mondiale. A l’inverse, des solutions simples permettent d’ores et déjà de compenser, partiellement du moins, la montée du C02: planter des arbres. Des milliards d’arbres (17).

Révolution ou adaptation?

Il est possible que, d’ici quelques années et face à des impacts écologiques clairement visibles tels la pénurie d’eau, les chaleurs mortelles, la disparition des cultures, les populations concernées élisent, ou imposent par Révolution, des régimes autoritaires ayant pour mission de mettre en oeuvre des mesures de transition et, surtout, d’adaptation à la réalité. Mais ces solutions adaptatives seront probablement énergivores: conditionnement d’air, extraction d’eau douce à partir de l’eau de mer, vastes projets de régulation agricole, etc… La réduction des GES, à l’échelle locale, sera secondaire car sans effet direct sur la situation.

D’ici là, deux axes de développement (au moins) sont possibles: d’une part la lutte contre le néocapitalisme, la corruption et la mainmise des intérêts prédateurs sur la chose publique afin de transformer la société vers un nouveau modèle à faible consommation énergétique mais à haute valeur culturelle. D’autre part la recherche et le développement de méthodes de production d’énergies propres susceptibles de remplacer le fossile, de méthodes d’absorption du CO2 à grande échelle, de techniques de régulation environnementale et d’adaptation aux nouvelles conditions climatiques.

Ces deux axes sont-ils compatibles? A défaut d’enrayer le processus, ce qui semble très mal parti, peut-on protéger des milliards d’individus des effets du changement climatique sans un haut niveau technologique? Faut-il miser sur un gouvernement central, une dictature verte capable de gérer une telle transition ou cela relève t’il du mythe, tout pouvoir autoritaire versant immanquablement vers l’édification de ses propres privilèges, le clientélisme et le terrorisme d’Etat? Faut-il alors laisser faire le jeu de l’offre et la demande au sein d’un capitalisme régulé par une démocratie, laisser émerger des adaptations techniques et sociales ad hoc? Encourager les ZAD (18)?

Je n’ai pas de réponses documentées à ces questions, mais pour y répondre il faudrait au moins avoir une idée crédible de ce qu’il va se passer, des ressources dont on va pouvoir disposer, et des adaptations qu’il faudra mettre en oeuvre. Ou alors faire immédiatement une révolution mondiale imposant une réduction de 50% de toutes les émissions de GES, mais pour je ne sais quelle raison cette option me semble la moins réaliste des deux.

Liens et sources:

(1) https://reporterre.net/Le-capitalisme-vert-utilise-Greta-Thunberg

(2) https://www.youtube.com/watch?v=ckaErodDLnQ

(3) https://www.youtube.com/watch?v=atNB6_wVQA0

(4) http://www.lefigaro.fr/vox/politique/l-ecologie-politique-un-anti-humanisme-20190709?fbclid=IwAR2sZIIevNmFh0qyiu2gyJTGoyRg2nET-2ytMf-ZoLdtZaowmP04g3tltaQ

(5)

(6)

(7) https://www.francetvinfo.fr/meteo/climat/climat-peut-on-sauver-la-planete-en-democratie_3489591.html

(8) https://transparency-france.org/actu/indice-de-perception-de-la-corruption-2018/

(9)

(10) https://usbeketrica.com/article/dictature-verte-fausse-menace-infantilisme-individualiste?fbclid=IwAR1Xd7ymDKj3yaqltNpiPGEVFCCipTgv3JdKxL-l4NM_lh_upUsamaSWZvQ

(11) https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_%C3%A9missions_de_dioxyde_de_carbone

(12)

(13) https://www.atlantico.fr/decryptage/3575624/pourquoi-une-energie-decarbonnee-est-techniquement-inconcevable-et-economiquement-insoutenable-meme-a-horizon-2050-vincent-benard

(14) https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2012/07/19/en-chine-les-terres-rares-tuent-des-villages_1735857_3216.html

(15)

(16)

(17) https://www.goodplanet.info/actualite/2019/07/07/planter-des-arbres-pour-contrer-le-rechauffement-climatique/

(18)

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

8 réponses

  1. Je vous suis.

    Il me semble aussi que cette “vague verte” soit le dernier artéfact créé par le libéralisme pour produire toujours plus. Toujours plus de voitures hybrides, d’éoliennes, de trottinettes électriques, de numérique et de dépendance à la (leur) technologie.
    Ainsi, en faisant passer des vessies pour des lanternes, le libéralisme continue sa course tranquillement.
    Les gueux achètent et les nantis préparent leur transhumanisme.

    Car, admettons que la catastrophe écologique annoncée se révèle exacte, pour qui ce phénomène posera t-il problème?

    Poser la question, c’est déjà avoir une partie de la réponse comme dirait l’autre 😉

    Merci de l’article.

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