Trente ans après le massacre des étudiants de la place Tiananmen par le régime chinois sous Deng Xiaoping, revoyons-nous se jouer un nouvel acte de la même pièce, mais à Hong Kong, sous le régime de Xi Jinping? Et plus largement, peut-on faire un parallèle avec le mouvement des Gilets Jaunes?
La Chine et Hong Kong.
La rétrocession de Hong Kong à la Chine, sous la promesse de “un Etat, deux systèmes”, date de 1997 mais l’accord en lui-même est très antérieur, négocié entre Margaret Thatcher et Deng Xiaoping dès 1984. A cette époque Hong Kong est un peu le Berlin Ouest de la Chine, un archipel moderne et florissant dont le poids économique relatif à la Chine est complètement hors de proportion avec son poids démographique. La Chine de l’époque a grandement besoin de Hong Kong en tant qu’interface entre son système fermé et le monde occidental, ne peut se permettre de “perdre” l’archipel et donc respecte grosso modo les accords.
Depuis 1997, et a fortiori depuis 1984, les choses ont bien changé et Hong Kong aujourd’hui représente quelques 3% de l’économie chinoise, contre de l’ordre de 15% vingt ans plus tôt. La pression visant à intégrer Hong Kong au sein du territoire chinois est d’autant plus forte que ce territoire devient de plus en plus accessoire, pression renforcée par le retour à l’autoritarisme politique sous Xi Jinping.
Tiananmen.
La libéralisation économique des années 80 alimente la demande pour une plus grande liberté d’opinion. La mort le 15 avril 1989 de Hu Yaobang, réformateur libéral très apprécié des étudiants et entrepreneurs chinois qui avait été mis au frigo par le Parti deux ans auparavant, démarre un mouvement spontané de commémoration place Tiananmen (1) mais aussi dans d’autres grandes villes chinoises. Mouvement qui se transforme très rapidement en mouvement de revendication, essentiellement porté par les étudiants qui veulent la reconnaissance et le dialogue avec l’Etat sur un pied d’égalité.
Le 26 avril, Deng Xiaoping qualifie ces manifestations de “émeute anti-socialiste et anti-Parti“. Mais la situation divise le bureau politique du Parti avec d’un côté le réformiste Zhao Ziyang qui prône une conciliation avec le mouvement protestataire, et de l’autre les conservateurs sous le Premier Ministre Li Peng qui n’envisage que la méthode forte.
Deng Xiaoping donne finalement raison à Li Peng et l’armée écrase la manifestation place Tiananmen le 4 juin, faisant plusieurs milliers de morts (sources non officielles bien sûr). Suite à cela Zhao Ziyang est évincé mais Li Peng ne devient pas pour autant le nouvel homme fort de la Chine, Deng Xiapoing lui préférant Jiang Zemin afin de garantir la continuité des réformes économiques.
Réformes qui mèneront à une plus grande ouverture culturelle jusqu’à l’arrivée de Xi Jinping au poste de Vice-Président de la RPC en 2008, et sa prise de pouvoir en 2012. Pouvoir renforcé par une modification constitutionnelle lui donnant la possibilité d’un pouvoir à vie et une main-mise sur l’appareil institutionnel chinois digne du totalitarisme de Mao.
Le retour totalitaire sous Xi Jinping.
Pour les habitants de Hong Kong, Xi Jinping n’est plus le Président de la Chine mais un nouvel Empereur tout-puissant (2) dont la pensée s’oppose à leur culture “occidentalisée”, et qui veut rompre avec le “un Etat deux systèmes”:
Xi Jinping aurait rédigé un texte, connu sous la dénomination « Document numéro 9 »c, où il s’oppose à « la démocratie et aux droits de l’homme ». Les points de vue contraires au Parti communiste chinois ou à sa ligne politique sont interdits et ne peuvent pas être publiés. Xi Jinping détermine « sept périls » parmi lesquels la « démocratie constitutionnelle occidentale », les « valeurs universelles » des droits de l’homme, la « société civile », la « liberté de la presse » et le « libéralisme » Ce « Document numéro 9 » permet à Xi Jinping de stopper, aussi bien au sein du parti communiste que dans la société chinoise, les velléités de promouvoir une libéralisation du système politique.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Xi_Jinping
Les étudiants de 1989 manifestaient pour une reconnaissance de la société civile par le régime chinois (encore que l’analyse de cette période reste très complexe (3)), ceux de 2019 manifestent pour éviter que la société civile de Hong Kong ne disparaisse sous l’hégémonie chinoise. Après la colonisation du Tibet et la mise en résidence (très) surveillée de la communauté musulmane Ouighour (4), les revendications politiques des quelques 7 millions de Hongkongais, au niveau de vie largement supérieur à la moyenne chinoise, n’intéressent par le pouvoir.
La répression s’intensifie au fil des jours, peut-il y avoir un nouveau Tiananmen à Hong Kong? Le régime doit équilibrer son image interne (sa capacité à faire régner l’ordre et à garantir la continuité économique du territoire) et son image externe (en gros, éviter un massacre). Il est donc peu probable que le régime envoie l’armée car cela serait risquer un bain de sang, mais la répression policière se fera de plus en plus intense:
La cheffe de l’exécutif de Hong Kong Carrie Lam, nommée par le régime chinois, peut-elle faire marche arrière et retirer l’élément déclencheur de ces manifestations, le projet de loi permettant l’extradition de Hongkongais pour être jugés en Chine? Peu probable, ou alors au prix de sa propre tête. D’autant que cela ne suffirait sans doute pas, la population demandant que l’exécutif soit librement élu plutôt qu’imposé par Pékin.
De la Chine aux Gilets Jaunes.
On peut voir certains parallèles entre la situation à Hong Kong et les Gilets Jaunes: une demande démocratique (élections libres là-bas, RIC ici) et une réaction essentiellement policière et répressive de la part du régime. Par contre les Hongkongais font clairement partie, économiquement parlant, des privilégiés de la société chinoise, et même de la société mondiale. Ils ne manifestent pas pour un meilleur pouvoir d’achat, un accès au travail correctement rémunéré ou la baisse du prix du litre d’essence. C’est une population essentiellement urbaine qui ne craint pas tant le déclassement économique que le déclassement politique et culturel.
La France, évidement, a un peu de mal à trouver une position vis-à-vis des événements de Hong Kong. Le régime français tente plutôt le rapprochement avec Pékin en matière géopolitique, et Carrie Lam à été décorée de la Légion d’Honneur en 2015. Difficile aussi pour la France de protester sur le thème des droits fondamentaux vu sa propre politique de violence illégitime envers les Gilets Jaunes.
Le parallèle principal que l’on peut sans doute tirer entre les deux mouvements est celui d’une population face à un régime idéologue et paranoïaque dont l’argument premier est la délégitimation / disqualification (ennemis du parti, ennemis de la République), justifiant en cela la répression policière et l’instauration d’une justice politique.
Le tropisme de l’Etat totalitaire, très avancé en Chine de par l’instauration de toute une infrastructure de surveillance et de notation des citoyens (5), associé à une corruption massive au sein des élites (le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument, dixit Lord Acton), résonne auprès de l’establishment français: le principe de séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire, évidemment inexistant en Chine, est fortement remis en cause par le régime Macron. Dans les deux pays le capitalisme de connivence domine: ici EDF ou les autoroutes par exemple, là-bas les grandes entreprises telle Huawei sont toutes en prise directe avec l’Etat.
Nous assistons donc, peut-être, à des combats ici et là-bas qui illustrent la fracture croissante entre ceux qui contrôlent à leur profit les moyens de l’Etat (la police, l’armée, les systèmes de surveillance, le système de régulation économique, l’éducation, la justice, les médias) et ceux qui les subissent.
Liens et sources:
(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Manifestations_de_la_place_Tian%27anmen
(2) http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20190808-interview-joshua-wong-hong-kong-xi-jinping
(3) https://esprit.presse.fr/article/sebastian-veg/les-trois-crises-de-1989-en-chine-42181
(4) https://www.youtube.com/watch?v=IKMwFmv9BdU
(5)
Heureusement le ridicule ne tue pas: https://francais.rt.com/international/64960-eviter-tout-recours-violence-deputes-lrem-interpellent-executif-hongkongais/amp?__twitter_impression=true
Les manifestants hongkongais deviennent plus sophistiqués: https://theconversation.com/the-hong-kong-protesters-have-turned-militant-and-more-strategic-and-this-unnerves-beijing-121106?fbclid=IwAR1YgxVPxzwp4JGjwMIxjtH_p2g2LNV_p5_wBfsE8fYROIw61wG-DRqUwsQ
Chars chinois aux portes de Hong Kong. https://m.huffingtonpost.fr/entry/un-nouveau-tiananmen-est-il-possible-a-hong-kong_fr_5d52c4c6e4b0cfeed1a397ce?ncid=fcbklnkfrhpmg00000001
La société hongkongaise prochaine victime de l’ogre chinois? https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/chine-pekin-prepare-lopinion-une-intervention-militaire-hong-kong
Hong Kong: le régime cherche à amadouer la population avec qsues mesures fiscales: https://www.lepoint.fr/monde/hong-kong-donald-trump-appelle-pekin-a-agir-avec-humanite-15-08-2019-2329998_24.php
Marianne sur le lien entre Hong Kong et les Gilets jaunes: https://www.marianne.net/debattons/billets/manifestations-hong-kong-des-similitudes-avec-les-gilets-jaunes?fbclid=IwAR1Bg1FCaWzSal0NH2-GD_AIvZE1led63oSSBC6OldIdQzUwQVo2f7wFRNE
J’ai peur que ce mouvement ne soit récupéré ; on a déjà vu des photos d’agents de la CIA sur place… Future révolution colorée ?
Il y’a aussi apparemment une grande partie des Hong Kongais qui se sentent chinois à part entière et qui souhaitent un rattachement à la Chine pour profiter de son boom économique, ayant peur que leur ville se singularise et se retrouve isolée politiquement et culturellement. Deux parties significatives d’une population avec des vues radicalement différentes de leur destin commun, c’est comme ça que commence une guerre civile…