Perfectionnisme ou l’enfer du mieux.

Une importante étude sur le perfectionnisme, récemment publiée par l’American Psychological Association (1) pour la période 1989 – 2016, montre une forte croissance de ce syndrome sur les trois dernières décennies. Certains parlent d’une épidémie de perfectionnisme, une caractéristique de la personnalité pouvant mener à de sérieux troubles psychologiques voire au suicide.

Dans un monde où domine le chacun pour soi, un monde rempli d’images impeccables de ce que à quoi nos corps, nos carrières et nos aspirations devraient ressembler, la marée montante du perfectionnisme risque de noyer de nombreuse personnes, et notamment ceux et celles issues des générations Y et Z. C’est un problème qu’il faut d’abord arriver à nommer avant de le combattre car la ligne entre le désir de bien faire et le perfectionnisme n’est pas toujours claire.

Des méthodes existent et permettent d’indiquer si telle ou telle personne développe une tendance perfectionniste (2), sachant qu’a priori une personne perfectionniste ne considérera jamais que toujours rechercher le meilleur soit un problème. Jusqu’au jour où elle s’écroule sous le poids d’objectifs et d’exigences impossibles.

Symptômes et types de perfectionnisme.

Essentiellement, la différence entre une personne travaillant dur dans le but de faire au mieux et une personne perfectionniste se constate dans l’attitude au résultat: pour la première le succès vaut pour lui-même, et de l’insuccès elle retirera une expérience ou un enseignement. Pour la seconde le succès n’est qu’une étape vers un “encore mieux” et l’insuccès une catastrophe anxiogène, une honte.

Même si nous sommes ici loin de la caricature du rangement des boîtes de conserves par couleur ou de l’herbe coupée au ciseau (ce qui relève plutôt des troubles obsessionnels compulsifs, une possible conséquence du perfectionnisme), le perfectionnisme agit à tous les niveaux: la nécessité du repas parfait, du partenaire parfait, du boulot parfait, de la prestation sportive parfaite, du look parfait sont tous des symptômes de ce désordre que certains classent en trois catégories.

D’abord le perfectionniste auto-orienté, celui et celle qui se fixe de hauts objectifs en matière de carrière, de qualité de travail, de qualité relationnelle. Il ou elle ne supporte pas de perdre, de rater un examen, de ne pas être reconnue au boulot. Ensuite le perfectionniste orienté vers “l’autre”, celui ou celle qui impose à son entourage un haut niveau de prestation, de comportement, de réussite. Ces perfectionnistes sont perpétuellement dans la critique, dans le jugement, dans l’amour conditionné à certains résultats.

Enfin le perfectionniste orienté “prescription sociale” qui ressent constamment une forte pression de la société pour qu’il ou elle soit parfait.e, tout en ayant un besoin de reconnaissance de la part de cette même société. S’imposant des standards impossibles, ces gens se sentent constamment scrutés et rejetés, souffrent de la perte de leur confiance en eux-mêmes inhérente au fait de ne jamais se sentir “à la hauteur”.

Le perfectionnisme fruit de la pression sociale.

Selon l’étude citée plus haut, c’est cette dernière forme de perfectionnisme qui a gagné le plus de terrain sur les trente dernières années. Deux tiers des étudiants ayant participé à l’étude en 2016 testent nettement plus haut sur cette forme de perfectionniste que leurs aînés de 1989. Ce qui est logique vu que c’est bien l’omniprésence de la pression sociale, notamment via les réseaux sociaux, qui est le facteur le plus différenciant entre cette époque et l’actuelle.

Mais pas seulement les RS: dans la plupart des pays l’éducation de qualité est devenue de plus en plus chère, les étudiants s’endettent à vie avant même de débuter une carrière, la compétition est féroce, la protection sociale aléatoire quand elle existe. Le darwinisme social sous l’égide de l’injonction à s’adapter à fait son grand retour (3), c’est la loi du plus fort et seuls les êtres parfaits survivront. C’est en tout cas le message qui nous est renvoyé à chaque instant, quelle que soit la culture.

Les dégâts sont connus: burn-out, désordres en tous genres (alimentaires, TOC, anxiété, dépression), relations sociales et personnelles exécrables, suicides. Une conséquence moins évidente est la distanciation voire la procrastination: le perfectionniste se sentant par définition rarement heureux et souvent déçu, avec l’age il / elle peut en arriver à se détacher de ses responsabilités, s’en foutre, procrastiner afin d’éviter la certitude de la prochaine déception.

Evidemment, avant d’en arriver là les perfectionnistes affichent bien souvent une certaine réussite voire une réussite certaine. Vouloir toujours être le meilleur alimente la réussite, du moins sur le court et moyen terme. On trouve des perfectionnistes en haut de toutes les échelles professionnelles et sociales, de la dance à l’éducation en passant par le sport, la science , la mode ou les affaires. Mais à quel prix? En effet cette tension constante fragilise et il suffit d’un obstacle qui résiste, d’un refus de soumission, d’une exigence non satisfaite, d’un échec pour que la personne un jour s’effondre.

Se protéger du perfectionnisme.

Il ne semble pas exister, à l’heure actuelle, de traitement spécifique de type médical ou psychologique reconnu. Des thérapeutes s’y collent bien sur, les livres sur le sujet ne manquent pas mais le premier obstacle est de diagnostiquer la chose avant qu’elle ne devienne un réel problème de santé personnelle comme de santé publique.

Un.e perfectionniste en plein essor n’admettra évidemment jamais qu’il puisse y avoir un quelconque problème. Sans parler de la question de la transmission du comportement du parent à l’enfant qui, dressé à toujours être “le meilleur”, aura intégré cette manière d’être – ou se sera peut-être révolté en chemin avec pertes et fracas, tombant dans la déscolarisation, la violence, l’alcool ou la drogue, ce qui n’est pas mieux.

Selon Sanna Nordin-Bates, chercheuse suédoise ayant réalisé une étude sur ce sujet à l’Ecole Suédoise de Sport et de Santé de Stokholm, il faut s’en remettre au bon sens:

C’est un cliché, mais nous devons faire la promotion envers nos enfants de l’idée d’éducation tout au long de la vie. Les choses ne sont pas finies à l’issue d’un examen, d’une course gagnée ou perdue. La question n’est pas d’être parfait.e. Si vous voulez être heureux et en bonne santé pendant quelques 80 ans alors vous devez vous concentrer sur ce que vous avez appris d’une expérience, plutôt que sur la note que vous avez obtenue.

https://www.newscientist.com/article/mg24332430-600-the-misunderstood-personality-trait-that-is-causing-anxiety-and-stress/

Liens et sources:

(1) https://www.apa.org/pubs/journals/releases/bul-bul0000138.pdf

(2) http://hewittlab.sites.olt.ubc.ca/files/2014/11/MPS2.pdf

(3)

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

3 réponses

  1. Un passant

    Bonsoir Vincent, un moment que je n’étais pas passé par votre blog, vos articles sont toujours aussi pertinents !

    Je partage votre constat sur le perfectionnisme, de plus en plus, je trouve que «le mieux est l’ennemi du bien» s’applique parfaitement à notre époque. Le pire étant quand on change des infrastructures, des services, voire des employés, qui font très bien leur travail sous prétexte «qu’il faut moderniser et que ce sera encore mieux»…

    À échelle humaine, je crois qu’à ce besoin pathologique de compétition (qui contraste ironiquement avec l’égalitarisme actuel de mise, mais bon, l’époque aime les paradoxes) correspond à un profond besoin d’exister. On nous apprend de moins en moins à être, on fabrique des paumés en série. Dans ces conditions, vouloir la perfection tout le temps et en toute chose est un moyen de dire «regardez, j’existe», d’une part car on dépasse quelque chose, d’autre part car on espère la reconnaissance de ses pairs (être aussi bien foutu que ses amis sur Instagram). Bon je fais de la psychologie de comptoir, mais quand on apprend à aimer les choses, à en profiter et à en tirer quelque chose, le perfectionnisme devient une notion absconse, voire folle quand ça concerne des superficialités comme l’apparence physique.

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