La moitié du prix Nobel de physique est attribué cette année à James Peebles pour ses travaux sur la structure de l’univers. Il a notamment contribué à développer l’idée de matière noire et d’énergie noire, mais reconnaît que même s’il y a eu de grandes avancées dans notre compréhension, il reste de nombreux mystères – à commencer par la nature de ces fameuses matières et énergies noires, sinon leur existence même…(1)
There are still many open questions – what is dark matter and Einstein’s cosmological constant?
https://physicsworld.com/a/james-peebles-michel-mayor-and-didier-queloz-share-nobel-prize-for-physics/
Peebles, ça veut dire galets ou petits cailloux et je trouve mignon qu’il soit ainsi reconnu alors qu’au même moment, mais à l’autre extrême de l’échelle de l’univers, au royaume des particules subatomiques, est remise en cause la réalité de ces autres petits cailloux appelés quarks.
Les quarks, depuis leur inférence dans les années 50 par Murray Gell-Mann (ce qui lui valut un prix Nobel de physique en 1969), sont généralement admis comme étant les constituants de base de la matière:
En physique des particules, un quark est une particule élémentaire et un constituant de la matière observable. Les quarks s’associent entre eux pour former des hadrons, particules composites, dont les protons et les neutrons sont des exemples connus, parmi d’autres. En raison d’une propriété dite de confinement, les quarks ne peuvent être isolés, et n’ont pas pu être observés directement ; tout ce que l’on sait des quarks provient donc indirectement de l’observation des hadrons.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Quark#targetText=En%20physique%20des%20particules%2C%20un,connus%2C%20parmi%20d’autres.
Signe prémonitoire peut-être, le terme de “quark” est tiré d’un livre quelque peu abscons de James Joyce, Finnegans Wake, publié avant les travaux de Gell-Mann et qui inspira ce dernier: le quark, un nom approprié pour une particule invisible en soi mais détectable par ses effets, vivant en groupe d’individus arborant des “couleurs” particulières, des “saveurs” et des fractions de “spin”.
De James Joyce à la chromodynamique quantique.
Tout un champ scientifique fut développé pour étudier les quarks, la chromodynamique quantique (QCD), qui valut, eh oui, le prix Nobel de physique de 2004 pour les scientifiques impliqués (2). Cela dit la QCD n’est pas parfaite, une manière très complexe et parcellaire d’approcher ces contrées uniquement compréhensibles via le langage mathématique. Gell-Mann avait d’ailleurs prévenu, en 1972, qu’il fallait faire attention au risque d’invoquer “des objets fictifs dans nos modèles qui ensuite deviennent de vrais monstres qui nous dévorent”.
La QCD permet de mieux comprendre le fonctionnement des quarks et leurs extraordinaires caractéristiques, mais n’explique pas tous les comportements bizarres résultant des expériences et, notamment, le fait que seules certaines combinaisons de quarks sont possibles et sont fonction des “couleurs” des quarks concernés – le terme de couleur n’ayant rien à voir avec la couleur mais avec le fait que, comme les couleurs primaires rouge, vert et bleu qui n’annulent ensemble (en formant le blanc), seules les quarks avec des “couleurs” s’annulant ensemble peuvent se combiner.
Trois quarks “rouge”, “vert” et “bleu” peuvent donc se combiner pour former un hadron, mais pas quatre quarks. Ou alors un quark et son anti-quark doté de son anti-couleur peuvent se combiner (un rouge et un anti-rouge par exemple), mais – et pour cette même raison – un quark seul n’existe pas car il n’a pas de “copain” avec qui s’annuler.
Compliqué, et un autre brillant scientifique, Gerard’t Hooft, trouva une solution au sein de la QCD permettant de se débarrasser des couleurs en en créant une infinité, mais qui posa alors d’autres problèmes: une infinité de couleurs implique une infinité de quarks et une infinité de spins, donc la possibilité de particules dotées de la somme d’une infinité de spins – exactement le genre de monstre dont se méfiait Gell-Mann.
Arriva alors la théorie des cordes, une approche théoriquement très puissante mais, à ce jour, indémontrable, pour expliquer la nature profonde de la matière (3). Au début des années 2000 il fut remarqué que cette théorie permettait d’avoir des quarks dotés de fractions de spin, permettant ainsi de contourner le problème des infinis. Un quark avec une fraction de spin, encore un monstre à la Gell-Mann totalement non prévu par la QCD jusqu’à récemment, où il devient mathématiquement possible de concilier ladite QCD avec le spin fractionnel. Ce qui en dit long soit sur la complexité du réel, soit sur l’imagination des mathématiciens.
Le quark, propriété émergente de l’écume quantique?
Poursuivant dans cette voie, l’an dernier un chercheur de l’Institut Weizmann en Israël, Zohar Komargodski, parvint à associer le modèle aux couleurs infinies de ‘t Hooft et le spin fractionnel dans un ensemble a priori cohérent mais oh combien complexe: plutôt que de représenter des quarks se bousculant dans un espace tri-dimensionnel afin d’obtenir une particule stable, cette nouvelle approche implique que les quarks “composant” une particule seraient en réalité le produit de l’écrasement (du fait de son spin) en deux dimensions de cette particule, rendue ainsi à l’état d’écume quantique, d’où émergerait lesdits quarks.
La mère de tous les monstres de Gell-Mann diraient certains, et effectivement on change de niveau, un peu comme passer de Starwars à Alien. D’une brique fondamentale constitutive de la matière, le quark deviendrait une sorte de propriété émergente de la physique quantique.
Prenons une image: dans un stade de foot il y a des spectateurs que l’on peut associer à des particules stables. Quand ces spectateurs génèrent une ola, la vague observée est une propriété émergente. Idem pour nos quarks, une sorte de ola quantique observable par son effet mais qui n’existerait pas en tant que “chose” fondamentale.
J’utilise le conditionnel car Zohar Komargodski lui-même n’est pas sûr qu’il faille pour autant jeter l’image classique du quark: tout comme la lumière est en même temps onde et particule, le quark pourrait selon les circonstances être un quark “classique” ou “émergent”. Ce qui est certain est que ceci repose à nouveau la question de la nature profonde de la matière: si le quark est essentiellement une émergence et non plus une brique fondamentale, qu’est ce que cela dit de la réalité?
Du quark émergent à l’étoile à neutrons et à la matière noire.
Quoi que cela en dise, ou pas, ce nouveau modèle de quark a un intérêt tout particulier pour les chercheurs à l’autre bout de la chaîne, et là on revient à James Peebles: depuis le succès de LIGO (4) et la confirmation des ondes gravitationnelles générés par la collision lointaine d’objets massifs tels les trous noirs et les étoiles à neutron, les astrophysiciens cherchent à mieux comprendre la physique interne de ces fameuses étoiles caractérisées par une pression gravitationnelle interne proprement inimaginable (le dernier stade avant de passer au trou noir). Le modèle de Zohar Komargodski, pourrait leur permettre de modéliser avec nettement plus de précision le comportement interne de ces objets, donc d’affiner le modèle cosmologique standard.
Mieux encore pour James Peebles et ledit modèle, nécessitant toujours la mystérieuse matière noire: une hypothèse dite des strangelets associant quarks et matière noire pourrait se voir renforcée par cette nouvelle approche. Les strangelets (ou “macros” ou amas de quarks), des particules hypothétiques composées de quarks spécifiques leur donnant les caractéristiques attendues de la matière noire, seraient issues d’un champ (inconnu) de très haute pression. Et justement, le modèle de Zohar Komargodski est particulièrement bien adapté à ce type de situation…
Parlant de pression, une bonne Kwark me semble ici parfaitement appropriée. Tchin.
Liens et sources:
(1)
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Chromodynamique_quantique
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_des_cordes
(4)
J’aime beaucoup votre blog. Un plaisir de venir flâner sur vos pages. Une belle découverte et blog très intéressant. Je reviendrai m’y poser. N’hésitez pas à visiter mon univers. Au plaisir.
A la demande de l’auteur, je copie ci-dessous le commentaire que je faisais sur Twitter :
( https://twitter.com/jeparletoutseul/status/1188102460394610689 )
“La QCD[…] n’explique pas tous les comportements bizarres résultant des expériences et, notamment, le fait que seules certaines combinaisons de quarks sont possibles et sont fonction des «couleurs» des quarks concernés”… Euh… Tu as peut-être compris un truc de travers là.
Montrer comme se forment ces états hadroniques blancs à partir de quarks dont on n’impose pas à l’avance la couleur, c’est justement une des principales choses que fait la QCD. Comme la QED suffit à expliquer qu’un proton s’apparie avec un électron pour faire un atome.
Par contre ces calculs sont en général compliqués, et la limite large Nc (infinité de couleurs) est souvent une approximation (sans aucun soucis de réalisme) qu’on utilise pour simplifier les choses et obtenir une intuition avant de retourner travailler au cas réel Nc=3.
A part ces pb techniques de comment faire concrètement le calcul, la QCD est une théorie qui est très peu remise en cause pour la simple raison que c’est la partie du MS qui marche très bien, contrairement au bordel de l’EW (et aussi parceq le non-perturbatif est +dur à modifier)
Je dirais que là où les gens bidouillent le plus QCD (et pas juste construisent des modèles BSM qui s’en inspirent mais parlent de complètement autre chose, genre technicolor) c’est le terme thêta. Ce qui rejoint notamment la discussion sur la matière noire au niveau des axions.
[…] Du Nobel de physique aux quarks en folie. […]