Teste ton stérone, t’es trop stérone!

Il n’y a pas plus cliché que les images associées à la testostérone: le mâle alpha, le Rambo de service, le leader charismatique, le chef de guerre au torse velu entouré de son harem en ont beaucoup voire trop; le type efféminé rasant les murs en écoutant Abba, ou l’homme d’âge mûr ayant du mal à “la lever” n’en ont pas beaucoup voire pas assez.

Ces images associant la testostérone autant à la (bonne) virilité qu’à ses excès (machisme, culture du viol, délinquance) sont d’abord, comme nous le verrons, très discutables en termes de réalisme physiologique, ensuite rendent un très mauvais service à tout le monde en légitimant une forme de domination et de prédation du genre masculin sur le monde en général, et sur le genre féminin en particulier: “c’est pas moi, c’est la testostérone!” clamait déjà l’antique et musclé monsieur tenant d’une main un gourdin ensanglanté et de l’autre les cheveux de la demoiselle qu’il traînait derrière lui.

On retrouve à peu près le même aujourd’hui dans des costumes siglés FDO, mais c’est un autre sujet.

Cette image a également contribué à l’établissement d’un marché de la testostérone pour ceux qui d’un côté veulent se faire du fric, et de l’autre ceux qui veulent se faire du muscle et/ou retrouver une vigueur sexuelle perdue. A la différence du Viagra qui n’est pas une hormone mais un vasodilatateur. A l’origine, les médicaments à base de testostérone visent les hommes ayant un réel et anormal déficit de cette hormone, suite par exemple à une chimiothérapie, à un sérieux problème d’obésité ou de diabètes. Il est contre-indiqué pour tout usage de confort, pourtant aux USA son utilisation à cette fin est en forte augmentation depuis plusieurs années.

Je ne sais pas pour l’Europe, le site de l’Agence Européenne du Médicament (EMA) affirmant que ce type de médicament ne peut être utilisé que sous ordonnance médicale, et pas pour des patients souffrant d’insuffisance cardiaque, hépatique ou rénale – surtout au-delà de 65 ans (1).

Effets de la testostérone.

Au-delà de la question médicale c’est surtout l’impact sociologique qui nous intéresse. L’anthropologue américain Matthew Gutmann, dans son récent livre Are Men Animals? (Les hommes sont-ils des animaux?), estime que notre perception très “cliché” de la masculinité est une caricature ayant pour effet d’infantiliser les hommes: nous ne contrôlerions pas notre violence du fait de la testostérone, alors que rien de scientifique ne démontre une telle chose bien au contraire, mais c’est bien utile à certains pour se dédouaner ou dédouaner leurs “clients” (2)

Les islamistes qui justifient le voilement des femmes pour éviter d’exciter ces pauvres mâles trop cons pour se tenir correctement est l’exemple-type contemporain d’un tel détournement. Le pire étant que leurs femmes participent activement à cette infantilisation du masculin et ne font ainsi qu’aggraver le problème (3).

Ce qui ne signifie évidemment pas que la testostérone est sans effet, elle en a énormément mais ils ne sont pas réductibles à un comportement machiste ou violent, ces comportements dits “typiquement masculins” ayant une base essentiellement culturelle. Outre ses effets évident de différentiation sexuelle, la testostérone est également produite par une femme fertile, mais à très faible dose. Dans le cas spectaculaire de ces lionnes du Botswana qui se mettent à développer des crinières et un comportement masculin (rugir, monter d’autre femelles), il y a un lien clair entre une perturbation hormonale (excès de testostérone) et leur comportement (4).

Autre exemple, il existerait un lien entre la testostérone et le goût musical (et sans doute d’autres formes de goût): une étude japonaise de 2018 fit écouter à un échantillon de 37 hommes et 39 femmes, quasi toutes étudiantes, des extraits musicaux peu connus représentant des styles différents. Chacun.e devait noter les morceaux selon ses préférences puis donner un échantillon de salive afin de mesurer leur taux de testostérone (5).

Il ressort de l’étude que les hommes avec des taux de testostérone élevés préféraient les genres rock ou métal, ceux avec des niveaux plus faibles la musique classique ou le jazz. Cet effet ne fut pas relevé chez les femmes, sans doute dû à un taux naturel de testostérone trop faible pour avoir un impact mesurable. Cela semble très “cliché” pour le coup, mais il pourrait y avoir une composante sociale: les hommes avec un taux plus élevé de testostérone sont généralement plus rebelles face à l’autorité, et le rock ou le métal étant culturellement associés à un comportement rebelle cette préférence musicale pourrait être autant culturelle que hormonale.

Reste que la testostérone, comme les hormones en général, contribue à une pléthore d’effets physiologiques et émotionnels qui façonnent une personnalité, mais pas au sens d’une violence, d’un machisme ou d’une libido incontrôlable.

Testostérone et comportement humain.

Un autre ouvrage, précisément nommé Testosterone et écrit par deux sociologues (Rebecca Jordan-Young et Katrina Karkazis), recherche au sein de la littérature scientifique (relativement peu abondante en la matière) les liens (ou absence de liens) entre cette hormone et certains aspects du comportement humain: violence, désir de puissance, prise de risque, rôle parental, sport, et fertilité (6).

En gros, aucun des clichés habituels ne résiste à l’analyse. Les facteurs sociaux et culturels sont bien plus importants que le niveau de testostérone dans l’immense majorité des comportements humains, ne serait-ce que du fait que les femmes, par définition peu dotées en ladite hormone, peuvent aussi adopter des comportements typiquement “masculins” de domination et de prédation. Ce qui pose d’ailleurs d’intéressantes questions sur les rapports hommes-femmes, mais c’est un autre sujet, que j’ai déjà essayé d’aborder ici (7).

Donc.

Donc en fait pas grand chose. Les hormones c’est très subtile et très compliqué. On sait très vite quand on en manque, on sait en général quand on en a trop, mais faire des liens précis et quantifiables entre des taux hormonaux au sein d’une fourchette “normale” et des comportements spécifiques ne semble pas vraiment avoir de sens. En tout cas la testostérone ne peut pas être récupérée par les hommes incivils comme justification de leur comportement, cela au moins semble définitivement acquis. C’est déjà pas mâle.

Liens et sources:

(1) https://www.pourquoidocteur.fr/Articles/Question-d-actu/8289-Testosterone-l-Europe-estime-que-le-rapport-benefice-risque-est-positif

(2) https://www.amazon.com/Are-Men-Animals-Modern-Masculinity/dp/1541699580#:~:targetText=In%20Are%20Men%20Animals%3F%2C%20anthropologist,a%20global%20investigation%20of%20masculinity.

(3)

(4) https://www.newscientist.com/article/2106866-five-wild-lionesses-grow-a-mane-and-start-acting-like-males/

(5) https://www.newscientist.com/article/2158895-the-higher-your-testosterone-levels-the-more-you-love-soft-rock/

(6) https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674725324

(7)

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

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