A la résistance contre Macron: ici Lordon.

Cet article résume mon sentiment suite à l’interview de Frédéric Lordon, philosophe et économiste bien connu de la “gauche de combat” pour ses prises de parole et articles dans “La pompe à phynance“. Blog dont certains articles alimentent généreusement mon propre pied de rhubarbe (1). Interview, il faut le préciser, réalisée dans le cadre de l’émission de Frédéric Taddeï “Interdit d’interdire” sur RT, la chaîne “post-soviétique poutinienne roulant à la fake news” dirait Macron.

Lordon seul face à Taddeï sur RT, en termes de liberté d’expression je pense qu’il est vraiment difficile de faire mieux donc ce que nous dit ici Lordon reflète, sans doute, le fond d’une certaine pensée anti-Macron et, plus largement, anti-capitaliste: quel est le problème, le combat qu’il faudrait mener, comment et, surtout, pour arriver à quoi.

Le constat posé par Lordon est aussi clair que classique: la prédation néolibérale, bien connue dans le secteur privé où sa violence est devenue telle que les gens s’empêchent d’aller manifester de peur de perdre leur boulot, mais qui impacte également le secteur public ou fortement syndicalisé.

Paupérisation du secteur public au profit du capital.

Cette stratégie de “paupérisation délibérée du secteur public”, comme dit Lordon, se développe en trois temps: d’abord on réduit l’enveloppe financière du secteur visé par la baisse des recettes (diminution d’impôts par exemple, enfin surtout pour les très riches). Ensuite on s’impose une contrainte budgétaire dure, notamment en s’appuyant sur les règles de l’Union Européenne, ce qui mène mécaniquement au troisième temps, la nécessité de baisser les dépenses et au résultat que l’on observe actuellement dans les hôpitaux, chez les pompiers, dans l’Education Nationale etc..

L’objectif de tout ceci est évident: remplacer les services publics, rendus inadéquats par cette manœuvre de paupérisation, par de l’offre privée. Et donc dans le cas des retraites, au-delà de la question des régimes spéciaux que Lordon balaie en disant qu’ils compensent des différences de conditions de travail et donc participent de l’égalité plutôt que l’inverse (ce qui à mon avis relève aujourd’hui plus de la propagande corporatiste que d’une réalité objective, mais passons), dans le cas des retraites donc, la manœuvre du gouvernement aboutissant à une baisse des retraites via le système à points (le point étant une valeur relative vouée à diminuer au fil du temps) vise à pousser les travailleurs dans les bras de la retraite complémentaire par capitalisation, à terme de la retraite par capitalisation tout court, au profit des prédateurs capitalistes absolus que sont les fonds de pension.

L’analyse me semble juste mais j’aurais aimé poser quelques questions à Frédéric Lordon, à commencer par lui demander ce qu’il peut y avoir de sacro-saint dans le système de retraites par répartition (le modèle actuel) dans un pays où il y a de moins en moins de boulots bien payés mais de plus en plus de retraités vivant de plus en plus longtemps, le tout devant être financé par une population financièrement exsangue symbolisée par les Gilets Jaunes dont il dit être un grand admirateur. Autrement dit, comment fait-on pour faire perdurer un tel système dans ces conditions?

Le retour d’un désir de communisme.

Sa réponse apparaît au fil de la conversation: il n’y a pas de solution dans le cadre actuel, c’est-à-dire dans un pays contraint par l’Euro et les règles commerciales et budgétaires de l’UE. Il n’y a pas de solution qui ne ferait fi du capitalisme. Dans une France ou “la gauche” est en réalité “de droite” (c’est lui qui le dit), sauf peut-être la France Insoumise si elle pouvait arrêter de faire des conneries (je paraphrase), la solution n’est pas pour demain – littéralement comme figurativement parlant.

Quelle solution? Le mot a du mal à sortir du fait des casseroles historiques qu’il traîne derrière lui, mais Frédéric Lordon estime que le monde qui souffre aujourd’hui, et pas seulement en France ou en Europe, aspire en réalité à l’essence du communisme. Pas le communisme d’Etat à la soviétique mais l’appropriation des moyens de production par ceux et celles qui les utilisent. Ce qui existe déjà et qui s’appelle le modèle coopératif, mais il envisage un monde où ce modèle serait largement dominant et s’affranchirait des contraintes de rentabilité financière inhérentes au capitalisme.

Un tel monde serait doté de fortes structures décisionnaires locales mais néanmoins associées à un système politique représentatif au niveau de l’Etat. Visiblement Lordon ne croit pas trop au modèle purement communaliste de Murray Bookshin. Il estime que les Assemblées d’assemblées, expérimentées par les Gilets Jaunes, sont une voie permettant une réelle représentativité.

Il faudrait alors que la France, en l’occurrence, s’affranchisse de l’UE et de l’Euro pour mener à bien ces réformes. Lordon, qui est aussi un économiste, sait bien que sortir du cadre néolibéral actuel ferait éclater les règles budgétaires européennes qui lui sont associées. Malheureusement il n’explique pas comment il serait possible de sortir de l’UE et de l’Euro sans immédiatement crasher l’économie française.

Il se rend également compte que la destitution de l’actionnariat au profit d’une “coopérative généralisée” se heurterait de plein fouet aux intérêts de la classe dominante, actionnaire et donneuse d’ordre de la force publique. Autrement dit cela risquerait de ne pas se faire sans passer par une guerre civile d’ores et déjà annoncée par la terrible répression policière du mouvement des Gilets Jaunes en particulier, et de toute contestation en général dès lors qu’elle vise le “cœur” du système.

Face aux conflits sociaux qui secouent la France et une bonne partie du monde à l’heure actuelle, il y aurait pour Lordon deux grands thèmes susceptibles de réunir “les masses” dans une dynamique d’émancipation commune, un “désir de communisme” face à la droitisation générale que l’on observe par ailleurs: justice et égalité. Deux idées qui, selon Lordon, permettraient de relier les revendications d’ordre quantitatif (genre prix de l’essence) et qualitatif (processus politique).

Quelle pertinence face aux revendications syndicales?

J’avoue être un peu déçu par l’argumentation bisounours de Frédéric Lordon, lui qui est capable d’analyses nettement plus acérées. En gros on ne peut rien faire, on ne peut pas créer cette économie coopérative sans sortir de l’Euro mais plus aucune force politique actuelle, de la FI au RN, ne le préconise.

Il faut refuser la réforme des retraites afin d’éviter de se retrouver poussés dans les bras d’un système par capitalisation, mais peut-on vraiment considérer comme “juste” le système de retraites actuel qui présente d’énormes inégalités de revenus et ponctionne abusivement, dirais-je, une partie de la population active en voie de paupérisation?

Pour Frédéric Lordon la grève du 5 décembre sera surtout celle du rejet d’un certain monde, celui de la prédation du capital visant à détruire l’idée même de service public et d’émancipation citoyenne. Ce qui n’est pas tout à fait ce que l’on lit dans le communique CGT:

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Ce qui se joue ici est surtout une tentative de reprise en main de la contestation sociale par les syndicats, à commencer par l’UNSA (RATP) et SUD (SNCF) qui concurrencent très sérieusement la CGT, cette dernière (ainsi que la CFDT-Cheminots) ne pouvant que suivre le mouvement. Le point de départ est très clairement la défense des régimes spéciaux associés à ces entreprises.

Beaucoup d’autres groupes, craintes et revendications s’y sont greffées depuis mais personne ne semble vraiment réclamer de changer le monde à la sauce Lordon, avec toutes les opportunités mais aussi tous les risques que cela comporte. Il me semble que l’on demande juste que le monde actuel respecte les avantages acquis, finance correctement les services publics en péril et fasse éventuellement un petit quelque chose pour ceux et celles qui sont au seuil de la pauvreté (2).

J’attendais de Lordon qu’il nous explique au moins comment y répondre dans la pratique, dans le contexte actuel, sachant qu’il est effectivement peu probable que la France sorte de l’Europe ce 5 décembre.

Liens et sources:

(1)

(2) https://mcr.asso.fr/bien-vieillir/actualites-de-la-retraite/des-retraites-pauvres-malades-et-isoles/

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

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