Voici quelques jours qu’une prise de conscience semble s’opérer au sein du gouvernement sur la question des violences policières. Du gouvernement mais aussi des médias, tels BFM (1) ou Le Monde (2), qui se rendent compte qu’ils ne peuvent plus rester sur la ligne d’une espèce d’impossibilité ontologique de la violence policière déduite du fait que la police a le monopole de la force légitime (celle de l’Etat) et que toute violence est donc légitime par définition.
Plan com ou prise de conscience?
J’ignore si, du point de vue du gouvernement, l’ébauche de questionnements et d’appels à l’exemplarité de la police relève d’un simple exercice de damage control – gérer une crise ponctuelle sans rien changer sur le fond – ou s’il s’agit d’une prise de conscience d’un réel risque politique.
Les mentalités du régime actuel, de la hiérarchie policière et des syndicats de police les plus représentatifs, trinité que l’on peut globalement décrire comme un ensemble de psychopathes et de mafieux, laissent plutôt pencher vers la première hypothèse mais il n’est pas impossible que l’équipe gouvernementale, au moins, se rende compte du danger politique pour elle-même.
Comme le dit très bien Daniel Schneidermann dans son édito d’Arrêt sur Image, l’affaire du flic faisant un croche-pied à une militante déjà sous escorte policière a été le déclencheur de l’apparition d’un vrai risque politique car, autant l’électorat plus ou moins macroniste pouvait jusqu’alors prétendre que les violences policières, mêmes les mutilations et les meurtres, étaient soit purement accidentelles soit le fruit de réponses légitimes à la violence des manifestants, autant la vidéo du flic croche-patteur en symbolise la parfaite intentionnalité:
Le croche-pied aura donc été aux violences policières ce que Vanessa Springora est à Matzneff : le révélateur inattendu, qui permet de s’autoriser à nommer ce que chacun avait sous les yeux, et se refusait à voir. Et soulage peut-être, allez savoir, des consciences longtemps bridées.
https://www.arretsurimages.net/chroniques/le-matinaute/de-lutilite-danne-sinclair
Un vrai risque politique.
Le risque politique, donc, est le risque que l’électorat Macron-compatible, qui a priori se fiche bien des Gilets jaunes et des questions de retraites car ayant les moyens d’investir et de capitaliser pour les siennes, se rende compte que ce gouvernement est en train de perdre le contrôle de la situation et ça, c’est mauvais pour eux.
Comme analysé sur ce blog (3) et sur des centaines d’autres publications, le principe du maintien de l’ordre à la française est d’utiliser les manifestations et la police pour obtenir un résultat politique visant à délégitimer les manifestants. La méthode, classique, est d’imposer une ambiance de guerre à la foule (en cassant les cortèges, en gazant à la volée, en nassant, en faisant usage illicite d’armes de combat type LBD, en infiltrant de faux casseurs etc…) afin que les gens “normaux” prennent peur pour leur sécurité (et à raison), restent chez eux et laissent ainsi toute la place à ceux et celles qui veulent en découdre.
Ceci fait inévitablement monter le niveau de violence et d’agressivité des manifestants, légitimant l’excès de force policière pour finir avec ce que l’on voit aujourd’hui: une véritable guerre entre “méchants” manifestants radicalisés et “braves” FDO.
Tout cela fonctionne très bien tant que l’opinion à laquelle s’adresse le régime en place croit, ou peut faire semblant de croire, que la police reste quand même sous contrôle, que sa violence est essentiellement réactive, le prix nécessaire pour limiter au mieux les débordements des sauvageons. Opinion en cela confortée par les reportages des BFM et autres.
Si par contre cette opinion commence à croire que la police n’est plus contrôlée, ou pire encore que c’est la police qui contrôle le gouvernement, et donc que tout cela pourrait mener à une vraie guerre civile, une déstabilisation des institutions et un risque majeur pour leurs propres intérêts, ce n’est plus pareil.
Or c’est bien ce qui se passe: quels qu’en soient ses réels risques et bénéfices la proposition de réforme des retraites a placé, de par les grèves, un lourd fardeau sur l’économie et la vie parisienne, sur les gens qui ont besoin de travailler et de se déplacer, sur l’attractivité française aux yeux des investisseurs étrangers. En même temps le système de santé publique d’écroule, l’éducation nationale est en pleine tourmente, les avocats bloquent le -déjà très lent – système judiciaire.
Et voilà que cette fameuse police républicaine, censée protéger la France du chaos, se tire elle-même une balle dans le croche-pied et fait du chantage au régime (4). Si Macron c’est en fait le chaos, qui voudrait encore de Macron?
La situation a donc atteint un seuil: plus personne ne peut sérieusement affirmer qu’il n’y a pas de violences policières au sens d’une intentionnalité de nuire allant bien au-delà de “l’usage proportionnel de la force” et cela, malgré tout, ressuscite des images des milices de Vichy, des flics collabos des SS et de la Gestapo qui hantent encore l’imaginaire français. Il faut en effet être sourd et aveugle pour ne pas reconnaître, dans le fameux préfet de police Didier Lallement, un avatar contemporain d’un quelconque personnage hideux tout droit sorti d’un documentaire sur le Reich. Voilà pour le point Goodwin.
Priorité à l’urgence.
D’où une tentative de reprise de contrôle par l’exécutif et par au moins certains éléments des Forces de l’Ordre. Certes les dénonciations depuis le sein même de l’institution policière ne datent pas d’hier, le fameux et courageux Alexandre Langlois, policier porte-parole du (très minoritaire) syndicat VIGI, s’étant à maintes fois exprimé sur le sujet de l’incompétence et de la corruption de la hiérarchie policière (5).
Plus rare, la parole gendarmesque que l’on peut entendre à travers ce récent communiqué publié, via l’association Gendarmes et Citoyens, dans une lettre ouverte aux Français où l’on peut entre autres lire ceci:
Nous réclamons du Ministre de l’intérieur, que soit immédiatement mise en place une commission permanente neutre et plurielle, composée de gendarmes, de policiers, de magistrats et de citoyens concernés pour débattre des affaires de dérives comportementales de la part des membres des forces de l’ordre et pour que chacun, à quelque niveau qu’il fut, prenne enfin ses responsabilités.
https://www.assogendarmesetcitoyens.com/post/lettre-ouverte-aux-fran%C3%A7ais
De son côté Frédéric Lordon pointe, avec sa verve habituelle, la dangerosité à lâcher la bride à des hommes et des femmes qui sont attirés par la chose violente, condition sans doute indépassable pour candidater au sein des FDO:
Qu’on trouve surreprésentés des individus violents à l’embauche des institutions de la violence, il ne devrait y avoir là rien pour étonner. Toute la question est celle de savoir ce que les institutions de la violence font de leurs violents. La combinaison de la nullité burlesque de Castaner et de la complète étrangeté de Macron au monde réel, associées à la situation du régime ne tenant plus que par la force armée, ont conduit à tout lâcher là où il était impérieux de tout tenir. C’est que la prérogative exorbitante d’exercer la violence ne peut aller sans la contrepartie d’une responsabilité et d’une surveillance exorbitantes. Si le macronisme restera dans l’histoire comme la bascule dans l’État policier, c’est parce qu’à la prérogative exorbitante, il aura au contraire ajouté les autorisations exorbitantes : faites ce que vous voulez.
https://blog.mondediplo.net/quelle-violence-legitime
Les jours à venir déciderons sans doute de la question première, à savoir s’il s’agit là d’un simple exercice de communication de la part du régime pour endiguer une crise politico-médiatique ponctuelle, où une réelle prise en compte du danger d’un effondrement politique à deux mois des élections communales, après un mois de grèves, plus d’un an de Gilets jaunes et un niveau de révolte sans précédent au sein d’institutions clés de la République française.
Liens et sources:
(3)
(4)

(5)
Bonus: le croche-pied “pour le fun” doit faire partie de la formation FDO..
20Minutes se pose la même question: https://www.20minutes.fr/politique/2694835-20200114-violences-policieres-majorite-vraiment-change-discours
Constat d’échec: https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/01/11/les-violences-policieres-sont-le-reflet-d-un-echec_6025530_3232.html?fbclid=IwAR164J0mUFiAApsisFZQl7z-P4F5XIrJ9GXw5xKsAcS_WQ4sq4ojLnwa5WQ
Il faut réfléchir avant de l’ouvrir. https://www.lopinion.fr/edition/politique/violences-policieres-gouvernement-pris-piege-propres-mots-208633
Une longue dérive : https://mobile.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/violences-policieres-pourquoi-les-comportements-inacceptables-se-sont-ils-multiplies-de-la-part-des-forces-de-l-ordre_3784757.html#xtref=https://t.co/OvRdYuwaLE
Marianne: Et si c’était Macron le problème ? https://www.marianne.net/politique/pays-l-arret-francais-dans-la-rue-et-si-c-etait-macron-le-probleme
Vu du Droit: https://www.vududroit.com/2020/01/les-violences-policieres-sont-des-violences-illegitimes/
Effet de souffle? https://www.lefigaro.fr/actualite-france/castaner-annonce-le-retrait-immediat-de-la-grenade-lacrymogene-gli-f4-20200126
Observatoire parisien des libertés publiques: https://reporterre.net/Un-rapport-fustige-la-strategie-du-maintien-de-l-ordre-lors-des-un-an-des-Gilets-jaunes