Attestations de sortie: Face à face avec l’Absurde.

Premier contrôle de gendarmerie, en pleine après-midi, lors d’une sortie piétonne sur une route de campagne à proximité de mon domicile. Une voiture bleue banalisée. Contrôle d’attestation à travers la vitre entre-ouverte. Nous sommes pile à 1 km de mon adresse, et tout à fait dans les temps. Les gendarmes, vérifiant sur leur GPS, estiment que nous sommes juste au-dessus du km, qu’ils ne nous verbalisent pas mais que nous devons faire “attention”.

L’attestation stipule la balade autorisée “dans un rayon maximal d’un kilomètre du domicile”. Un rayon est une ligne droite à partir du centre. Mais en langage policier, un rayon c’est le tracé routier, qui est évidemment plus long que la ligne droite. Petite arnaque de flic qu’il vaut mieux savoir, j’ignore ce qu’un juge en dirait.

La rencontre en vrai avec l’absurde réglementaire met mal à l’aise. Il n’y a personne sur cette route, aucun danger pour qui que ce soit. Le gendarme-chef est rigolard, le petit jeune à côté de lui sourit mais un zeste de gêne, peut-être, pas encore complètement lavé du cerveau?…. Le gendarme-chef estime nous faire une fleur en ne verbalisant pas alors que nous sommes tout à fait dans les clous – hors son interprétation très personnelle de la notion de rayon.

Il jouit visiblement de son pouvoir absolu et arbitraire: un contrôle hors tout risque possible de contamination (sauf pour eux et nous), le chat qui s’emmerde et qui joue avec la souris: je croque, je croque pas?

La relativité de la Loi.

Il y a des millions de gens qui habitent la campagne et se baladent comme ils veulent, des heures durant, à des bornes de chez eux car sans risque de rencontrer les flics. Il y en a d’autres, en habitat urbain, constamment confrontés à l’absurde des contrôles de police alors qu’ils suffoquent dans des logements exigus menant à de nombreux drames (1). Il y a les “élites” qui décident de ces règles qu’elles n’appliquent évidemment pas à elles-mêmes. Il y a les quartiers où l’on sort acheter du pain au péril de sa vie (2), et les zones rouges où la police ne pénètre qu’a contre-coeur (3).

A l’image de la technocratie qui l’a mise en place, l’attestation dérogatoire ne sert à rien d’autre qu’à compliquer la vie des gens et à justifier la répression, seule manière pour cette caste de garder la population à distance suffisante. Plus grave encore, elle participe à l’abandon de l’esprit rationnel face à l’absurde présenté, jour après jour sur tous les médias, comme ce qui relève du normal. Ou pire encore, du bien.

Face à l’absurde, en effet, un esprit sain peut soit se révolter soit accepter les choses sans les questionner. Entre les deux il risque la décohérence cognitive menant à la dépression voire le suicide. Orwell l’a bien illustré dans 1984 et la novlangue:

La guerre c’est la paix.

La liberté c’est l’esclavage.

L’ignorance c’est la force.

1984, George Orwell.

Au centre de l’oignon, le Chef.

Contre le Covid-19, la guerre c’est rester chez soi, la liberté c’est obéir à l’absurde, la force c’est applaudir les soignants à 20h. Faire passer l’absurde pour ce qui est normal, c’est très précisément la méthode totalitaire que décrivait Hannah Arendt dans “La crise de la culture”:

“Dans un espace central, vide, se trouve le chef. Quoiqu’il fasse, il le fait toujours de l’intérieur. Autour de lui se trouvent une multitude d’organisations : sympathisants, associations professionnelles, membres du parti, formations d’élite, police. Chacune de ces strates peut avoir le sentiment qu’elle vit dans un monde normal, tout en étant radicalement différente de ce monde. D’un côté elle montre une absence de fanatisme et d’extrêmisme, et de l’autre côté elle marque sa fidélité au chef. Ainsi l’organisation est-elle, dans son ensemble, à l’épreuve du réel.”

https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-1102081702.html

Dans un tel système, pas d’analyse rationnelle car seul compte l’avis du Chef. Le Chef a des conseillers, mais il peut les virer s’ils dévient de sa propre logique. Il peut, surtout, leur faire porter la responsabilité de ses propres erreurs. Le Chef s’assure de son pouvoir en engageant aux postes sensibles des gens moins intelligents que lui, ou tout aussi corrompus, qui feront pareil à l’échelon inférieur. Il s’entoure de crétins éduqués qui forment la caste technocratique, celle qui crée l’absurde institutionnel sous forme d’une inextricable complication administrative et légale que seuls quelques experts peuvent aborder. Complication à ne pas confondre avec complexité, comme dirait Edgar Morin (4).

Cette opacité issue de la complication à outrance garantit à chaque niveau hiérarchique une déresponsabilisation ainsi qu’un pouvoir arbitraire et, donc, la possibilité d’une exploitation de la structure institutionnelle à son propre profit. Autrement dit le lobbying, le clientélisme et la corruption (5).

Tout ceci est magnifiquement illustré par la gestion “comptable” de l’hôpital français depuis presque deux décennies, et l’impréparation totale des services de santé face à une pandémie que tout le monde prévoyait depuis des années, à commencer par Bill Gates, qui n’est pas vraiment un sombre inconnu:

Le laisser-passer A 38.

Face au gendarme qui me demande mon attestation de sortie dans un endroit désert, je suis face au premier échelon de l’échelle de l’absurde. Pour éviter le suicide qui guette de nombreux membres des forces de l’ordre, le flic accepte d’être un vecteur de l’absurde en se disant qu’il est payé pour obéir, pas pour réfléchir.

Il est regrettable que les formations policières ignorent l’épisode de Nuremberg, là où tous les nazis pensaient s’en sortir en se justifiant de l’obéissance aux ordres du Chef. Cela n’a pas marché mais, visiblement, c’est parfaitement oublié dans les cercles du pouvoir actuel (6).

L’absurde pousse à la violence, contre soi-même ou contre les autres. On peut être passé à tabac pour avoir changé la date sur une attestation plutôt que jeter le papier (7). L’absurde engendre le désespoir et la haine, il alimente le cycle de la violence qui permet ainsi au régime de justifier encore plus d’absurde et de violence pour contrer les violents.

Pour la haute technocratie, l’épidémie de Covid-19 est un superbe ballon d’essai du totalitarisme. Son incompétence ayant été révélée par l’impréparation et les discours incohérents de début de crise, elle applique les bons principes sans doute appris à l’ENA: ne jamais parler vrai, se cacher derrière “les spécialistes” quand c’est nécessaire, et créer un environnement d’où est banni toute logique, toute analyse raisonnable (8) au profit d’une incessante propagande guerrière, émotive, paternaliste, absurde.

L’attestation dérogatoire, une version actualisée du laisser-passer A 38.

Liens et sources:

(1) https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/haute-garonne/toulouse/coronavirus-face-augmentation-violences-conjugales-confinement-pharmaciens-se-mobilisent-1811632.html

(2) http://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/un-auteur-de-tremblay-raconte-les-violences-policieres-en-bandes-dessinees-01-04-2020-8292153.php

(3) https://fl24.net/2020/04/06/dans-les-cites-de-seine-saint-denis-les-jeunes-dressent-des-guet-apens-contre-les-policiers-et-en-blessent-un/

(4) https://www.cairn.info/revue-societes-2004-4-page-99.htm

(5)

(6)

(7) https://montceau-news.com/faits_divers/600399-montceau-un-controle-de-police-se-passe-mal.html?fbclid=IwAR0G9NTpTcCfEHJobTstWRqgeQZZ2iY2vv_mhxRpO9WgfI5rIM5JVL-9eJw

(8)

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

21 réponses

  1. Anonyme

    Il y a 6 millions de foyers qui possèdent un chien. 4sorties d’1/4 d’heure par jour, ça fait 24 millions d’autorisations dérogatoires à imprimer, car on n’a pas le droit d’utiliser un crayon.
    Bravo l’écologie.
    Si on peut imprimer une attestation, on peut en imprimer 2, ou3, ou4.
    Ils sont fous nos Enarques?

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.