Confinement: sous le joug du Santé Suprême.

Le Soviet Suprême, que les moins de 30 ans ne peuvent connaître, était l’organe décisionnaire de l’URSS, composé d’élus au suffrage universel mais obligatoirement nommés par le Parti. Nous découvrons aujourd’hui le Santé Suprême, un organe essentiellement non élu mais hyper présent dans les couloirs du pouvoir, ainsi que sur les antennes et dans les publications médiatiques. Un centre de pouvoir qui fait de notre santé l’objectif supérieur de toute politique et, surtout, de toute hiérarchie des Droits.

Ce n’est pas moi qui le dis mais, en des termes certes moins ironiques, le philosophe André Comte-Sponville dans cette courte interview, ce matin sur France Inter, que je ne peux que recommander (1).

Le nécessaire point de vue de André Comte-Sponville.

Je cite ici une partie de son intervention car elle résume, me semble-t-il, l’ensemble de la position défendue par ce blog depuis un mois: le Covid est un problème sanitaire devant être traité comme tel, et qui ne mérite en aucune manière l’effondrement social, juridique et économique que nous imposent Macron et ses sbires au nom de ce Santé Suprême.

 Il faut d’abord se rappeler que l’énorme majorité d’entre nous ne mourra pas du coronavirus. J’ai été très frappé par cette espèce d’affolement collectif qui a saisi les médias d’abord, mais aussi la population, comme si tout d’un coup, on découvrait que nous sommes mortels. Ce n’est pas vraiment un scoop. Nous étions mortels avant le coronavirus, nous le serons après. 

Et puis, André Comte-Sponville note que l’énorme majorité d’entre nous mourra d’autres choses que du coronavirus. Il faut quand même rappeler que le taux de mortalité, les experts en discutent toujours, mais c’est un ou deux pour cent. Sans doute moins quand on aura recensé tous les cas de personnes contaminées qui n’ont pas de symptômes

En France, les 14 000 morts est une réalité très triste, toute mort est évidemment triste mais rappelons qu’il meurt 600 000 personnes par an en France. Rappelons que le cancer tue 150 000 personnes en France. 

En quoi les 14 000 morts du Covid-19 sont-ils plus graves que les 150 000 morts du cancer ? Pourquoi devrais-je porter le deuil exclusivement des morts du coronavirus, dont la moyenne d’âge est de 81 ans ? Rappelons quand même que 95 % des morts du Covid-19 ont plus de 60 ans. 

 Il fallait évidemment empêcher que nos services de réanimation soient totalement débordés. Mais attention de ne pas faire de la médecine ou de la santé, les valeurs suprêmes, les réponses à toutes les questions. Aujourd’hui, sur les écrans de télévision, on voit à peu près vingt médecins pour un économiste. “

 C’est une société, une civilisation qui demande tout à la médecine. En effet, la tendance existe depuis déjà longtemps à faire de la santé la valeur suprême et non plus de la liberté, de la justice, de l’amour qui sont pour moi les vraies valeurs suprêmes.

Eh bien, le jour où le bonheur n’est plus qu’un moyen au service de cette fin suprême que serait la santé, on assiste à un renversement complet par rapport à au moins vingt-cinq siècles de civilisation où l’on considérait, à l’inverse, que la santé n’était qu’un moyen, alors certes particulièrement précieux, mais un moyen pour atteindre ce but suprême qu’est le bonheur. 

Attention de ne pas faire de la santé la valeur suprême. Attention de ne pas demander à la médecine de résoudre tous nos problèmes. On a raison, bien sûr, de saluer le formidable travail de nos soignants dans les hôpitaux. Mais ce n’est pas une raison pour demander à la médecine de tenir lieu de politique et de morale, de spiritualité, de civilisation. 

Attention de ne pas faire de la santé l’essentiel. Un de mes amis me disait au moment du sida : “Ne pas attraper le sida, ce n’est pas un but suffisant dans l’existence“. Il avait raison. Eh bien, aujourd’hui, je serais tenté de dire : “Ne pas attraper le Covid-19 n’est pas un but suffisant dans l’existence.

https://www.franceinter.fr/idees/le-coup-de-gueule-du-philosophe-andre-comte-sponville-sur-l-apres-confinement

Au sein de l’habituel blabla macronien dont nous fûmes encore abreuvés hier soir, cette fois centré sur la très mauvaise nouvelle du nouveau report d’un supposé “déconfinement” au 11 mai (chose déjà battue en brèche par l’ignoble Castaner ce matin même, où il requalifiait cette date en “objectif” plutôt qu’en horizon crédible), nous avons quand même eu la surprise de l’annonce de la réouverture des écoles à cette date.

Macron et le Santé Suprême.

Mais, plutôt que des applaudissements à la perspective d’enfin libérer ces millions de pauvres gosses (et leurs parents, devenus profs-matons-psychologues-martyrs en plus du boulot normal de parents), ces gamins et ados emprisonnés depuis deux mois dans des conditions rappelant certaines heures sombres de l’Histoire et de la police française, on entend quoi: des cris d’orfraie à l’idée que des adultes (profs, autres parents) risqueraient alors une contamination au Covid-19.

Et bien oui, comme l’a d’ailleurs rappelé Macron hier soir, la seule réelle protection contre le Covid, hors un vaccin actuellement inexistant, c’est l’immunité de groupe, autrement dit l’infection de 50% à 60% de la population. Rien de neuf sous le soleil confiné, il faudra bien s’y faire et prendre les mesures permettant de préserver au mieux les plus fragiles.

J’imagine que cette réouverture des écoles, collèges et lycées n’aura pas été votée à l’unanimité par le Santé Suprême, qui aurait clairement préféré nous voir tous internés – pour notre santé of course – jusqu’à l’été. Au moins, et si on est sage. Heureusement, comme le disait également Macron (décidément), la population française est disciplinée. Elle l’est en effet, il a raison (et je dis ceci sans ironie aucune) mais, alors, pourquoi nous livrer ainsi à la prédation policière si nous sommes si sages? Il a un problème relationnel avec ses propres parents, un traumatisme d’enfance qu’il sublime par la punition gratuite de toute une Nation? Allez savoir.

Personne ne semble oser soulever la chose, mais – de l’aveu même de l’ignoble Castaner ce matin – la milice police française (toutes gendarmeries confondues) a racketé verbalisé 700 000 personnes depuis un mois. Au taux minimal de 135 euros la prune, cela fait une manne de 95 millions d’euros prélevés sans raison hors la traditionnelle politique du chiffre servant à acheter rémunérer la hiérarchie policière, pour se garantir son obéissance absolue (2).

Et il reste au moins un mois à courir. J’en connais (enfin, pas vraiment mais on sait qu’ils existent) qui vont se payer des vacances extraordinaires sur le dos des malheurs d’une population soumise aux arrêts de rigueur par ce régime aussi inepte que féroce.

Le prolongement du confinement, les peurs indécentes à l’idée que les enfants sortent enfin de chez eux et aillent à l’école, la débilité profonde de toutes ces mesures genre faire la queue à l’extérieur de supermarchés pour finalement tous se mélanger à l’intérieur, tout en interdisant en même temps les marchés extérieurs, sont le fruit de la politique de la peur et de la désinformation du Santé Suprême. En ce sens il est le juste avatar de notre Soviet Suprême originel: faire et raconter n’importe quoi tant que cela colle au Dogme et que cela conforte l’autorité du Chef. Peu importe les conséquences sur les vies réelles des gens tant que le Dogme est sauf.

Et ce Dogme c’est précisément ce que récusait Comte-Sponville ce matin:

C’est une société, une civilisation qui demande tout à la médecine. En effet, la tendance existe depuis déjà longtemps à faire de la santé la valeur suprême et non plus de la liberté, de la justice, de l’amour qui sont pour moi les vraies valeurs suprêmes.

Pour l’amour je ne sais pas, mais pour la liberté et la justice c’est mort, santé oblige. A défaut de pouvoir réarmer ceux et celles qui subissent l’oppression policière et confinatoire aujourd’hui (3), économique demain avec la problématique du remboursement de la dette de 100 à 200 milliards d’euros contractée par le régime pour financer les conséquences de la politique du Santé Suprême, face au désastre qui vient pour un grand nombre de commerces et petites entreprises, on ne peut qu’essayer de réinformer et espérer un sursaut avant mort cérébrale généralisée.

Le taux réel de mortalité, clé de voûte de la politique sanitaire.

Comme déjà soulevée à plusieurs reprises ici, notamment dans “A la recherche du taux perdu” publié le 4 avril, la question centrale est le taux de mortalité: quel pourcentage des gens infectés sont tués par le Covid-19. Ce calcul dépend avant tout de la connaissance du nombre, au sein de la population, de gens effectivement contaminés (estimations variant de 1% à 10% selon les sources). Le Santé Suprême place évidemment la barre le plus haut possible, allant jusqu’à parler de millions de morts potentiels. Déjà 500 000 morts pour la seule France serait beaucoup (4) et, rapporté à 60% de la population, donnerait un taux de l’ordre de 1,2%, soit dix fois plus que la grippe.

Des estimations plus récentes font baisser cette valeur, la ramenant de fait dans les mêmes eaux que la grippe. Cette toute récente étude publiée par l’Université américaine Johns Hopkins, basée sur les données américaines les plus récentes, est présentée par, l’a priori très sérieux, journal The Economist:

Il faut 20-25 jours au Covid-19 pour tuer ses victimes. Cette étude estime que sept millions d’américains furent infectés entre le 8 et le 14 mars, et les données officielles indiquent 7 000 décès trois semaines plus tard. Le taux de mortalité qui en résulte est de 0,1%, similaire à celui de la grippe. C’est remarquablement bas, un dixième seulement de certaines autres estimations.

Covid-19 takes 20-25 days to kill victims. The paper reckons that 7m Americans were infected from March 8th to 14th, and official data show 7,000 deaths three weeks later. The resulting fatality rate is 0.1%, similar to that of flu. That is amazingly low, just a tenth of some other estimates.

https://www.economist.com/graphic-detail/2020/04/11/why-a-study-showing-that-covid-19-is-everywhere-is-good-news

Rien ne dit que ce résultat soit “la vérité” mais, en matière épidémiologique, plus on a de données plus on s’approche du “vrai”. Ceci donne un biais positif aux études les plus récentes par rapport aux précédentes.

Il est donc très possible que le Covid-19 soit en réalité aussi (peu) fatal, en général, que la grippe mais particulièrement fatal pour un certain public: âgé, et/ou souffrant de problèmes ou “comorbidités”, les fumeurs étant par exemple nettement plus à risque que les non-fumeurs toutes choses égales par ailleurs.

Ce type d’information devrait impacter les politiques publiques face à l’épidémie. Confiner tout le monde pendant deux mois et subir les immenses dommages collatéraux qui arrivent pour un virus à peine pire que la grippe pour la majorité de la population, c’est évidemment contre-productif. Il faut s’organiser pour protéger les plus à risque, tout en leur laissant le choix de vivre comme ils et elles l’entendent.

La proposition du Santé Suprême de garder sous confinement les personnes âgées jusque fin d’année (5) relève d’une pensée criminelle. Si ces personnes veulent se confiner, libre à elles, mais si elles veulent vivre – au sens où l’entend Comte-Sponville – libre à elles également. On ne peut décider d’interner ainsi, de faire mourir de solitude et de tristesse des millions de gens sous prétexte de les “protéger”. Mais, pour le Santé Suprême, pas de problème tant que ces personnes n’entrent pas dans les statistiques Covid, actuellement leur seul mode d’évaluation de la société humaine.

Terminons alors sur cette dernière tirade de Comte-Sponville:

Et je me demande ce que c’est que cette société qui est en train de faire de ses vieux la priorité des priorités. Bien sûr que la dépendance est un problème majeur, mais nos écoles, nos banlieues, le chômage des jeunes, sont des problèmes, à mon avis encore plus grave que le coronavirus, de même que le réchauffement climatique, la planète que nous allons laisser à nos enfants.

Edité le 25 avril 2020: Comte-Sponville sur C-news.

Liens et sources:

(1) https://www.franceinter.fr/emissions/grand-bien-vous-fasse/grand-bien-vous-fasse-14-avril-2020-0

(2)

(3)

(4) https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/03/15/coronavirus-les-simulations-alarmantes-des-epidemiologistes-pour-la-france_6033149_3244.html

(5) http://www.leparisien.fr/international/coronavirus-l-union-europeenne-veut-confiner-les-personnes-agees-au-moins-jusqu-a-la-fin-de-l-annee-12-04-2020-8298264.php

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

16 réponses

  1. Toursière

    Il parait que les fumeurs sont curieusement moins touchés que les non fumeurs, contrairement à ce qui est écrit ici.

  2. […] Opposé à l’individualisme et repoussant l’idéologie démocratique au nom de la masse incarnée dans un chef providentiel, le covido-fascisme embrigade les groupes sociaux (médecins, milices, bourgeois hypocondriaques) et justifie la violence d’État menée contre les opposants assimilés à des ennemis intérieurs, l’unité de la nation devant dépasser et résoudre les antagonismes des classes sociales dans un Santé Suprême. […]

  3. […] Opposé à l’individualisme et repoussant l’idéologie démocratique au nom de la masse incarnée dans un chef providentiel, le covido-fascisme embrigade les groupes sociaux (médecins, milices, bourgeois hypocondriaques) et justifie la violence d’État menée contre les opposants assimilés à des ennemis intérieurs, l’unité de la nation devant dépasser et résoudre les antagonismes des classes sociales dans un Santé Suprême. […]

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