En Israël, la catastrophe qui vient.

Nous en étions restés, début mars, au match à plusieurs manches pour la nomination de Premier Ministre entre Benjamin Netanyahou, supporté par l’extrême-droite du Likoud et les intégristes de Force Juive, et l’ex-militaire Benny Gantz à la tête d’un fragile montage “Bleu et blanc”, plutôt laïque et centriste.

Le troisième tour électoral, le 2 mars, n’ayant toujours pas donné de majorité absolue à l’un ou l’autre parti, mais ayant donné une légère avance à Netanyahou, de complexes négociations politiciennes viennent d’accoucher, ce 20 avril, d’un nouveau gouvernement d’union nationale – Covid-19 oblige.

Une gouvernance à deux têtes sous contrôle judiciaire.

Ce gouvernement est actuellement dirigé par l’inoxydable Benjamin Netanyahou, mais pour dix-huit mois seulement. A ce moment-là Benny Gantz, qui occupe aujourd’hui le poste de Ministre de la Défense, deviendra Premier Ministre à son tour pour les dix-huit mois suivants. Cet accord est contraint par un cadre juridique qui prévoit, notamment, de nouvelles élections anticipées en cas de destitution de Netanyahou par la Haute Cour de Justice, ce dans le cadre du procès pour corruption de ce dernier qui débutera le 24 mai.

Benyamin Netanyahou nie ces accusations et déclare qu’il restera à son poste encore de nombreuses années. Le 28 février 2019, après deux ans d’enquête et en pleine campagne électorale, le procureur général de l’État d’Israël, Avichaï Mandelblit, annonce sa mise en cause dans ces trois affaires, pour corruption, fraude et abus de confiance. Plusieurs milliers d’Israéliens manifestent alors pour sa démission. La décision d’inculpation formelle ne pourra être prononcée qu’après une longue procédure.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Benyamin_Netanyahou#Affaires_judiciaires

Cet accord aura mené à la désintégration de la coalition bleue et blanche montée par Benny Gantz. Des trois partis d’origine, seul reste le parti centriste fondé par Gantz en 2013, Hosen L’Yisrael, alors que les deux autres forment désormais leur propre coalition nommée Yesh Atid-Telem. Gantz aura donc perdu dans cette affaire une large partie de son support partisan, mais gagné un pied dans le gouvernement, comme ministre de la Défense (ce qui, en Israël, n’est pas rien) puis comme Premier Ministre d’ici un an et demi.

Benny Ganz aura également muté. Du statut d’opposant à Netanyahou, sur motifs autant de politique que de morale vu les accusations de corruption portées à l’encontre de Bibi, il est aujourd’hui partenaire du même, et sa place de demi-premier ministre dépend désormais de la non-mise en accusation dudit Bibi. On comprend que sa base électorale, qui voit – à juste titre – Netanyahou comme le plus grand danger à la survie d’Israël, ne soit pas contente mais “Paris vaut bien une messe”, comme disait un certain.

L’extrême-droite menée par Netanyahou reste donc au pouvoir pour encore au moins dix-huit mois et peut continuer sa politique d’apartheid envers les arabes israéliens, ainsi que son projet d’annexion d’éléments de la Cisjordanie à la faveur du “plan de paix” de Donald Trump (1). Tous les regards étant actuellement détournés de la région pour cause de Covid-19, la voie semble assez libre pour de nouvelles exactions politiques et territoriales israéliennes à l’encontre des Palestiniens, mais tout n’est peut-être pas aussi simple.

Annexion des colonies, la catastrophe redoutée de tous.

La popularité, très relative, de Netanyahou repose sur sa promesse d’annexer les 128 colonies juives de Cisjordanie. La date de mise en oeuvre de ce plan est fixée au 1er juillet. Ce, comme d’habitude, à l’encontre de toute notion de Droit international du fait du support de l’Administration américaine, mais cet acte de piraterie rencontre néanmoins de nombreux et puissants obstacles.

Une tribune parue dans le journal Haaretz signée par 220 anciens hauts gradés, issus de l’ensemble des forces de sécurité israéliennes et donc, a priori, pas par des gauchos pro-palestiniens, prévient du grave danger que poserait une telle annexion à la sécurité d’Israël (2).

Leur message: l’annexion des colonies juives entraînerait une réaction en chaîne sur laquelle Israël n’aurait aucun contrôle, menant à l’effondrement de l’Autorité Palestinienne. Ceci forcerait Israël à prendre le contrôle effectif de l’ensemble de la Cisjordanie et à prendre en charge ses 2,6 millions de Palestiniens. Avec pour conséquences, de graves menaces pour les accords de sécurité avec la Jordanie, de graves menaces envers tout espoir pour le traité de paix américain, envers la coopération avec les forces de sécurité palestiniennes et, enfin, envers la nature juive de l’Etat d’Israël.

Du lourd, du très lourd et ce n’est pas tout: quelques jours après, 149 représentants de la communauté juive américaine publiaient un message similaire: une telle annexion unilatérale serait catastrophique, est opposée par une majorité des juifs américains, et impacterait négativement les relations futures entre cette diaspora et Israël (3).

Cet appel fut suivi par un communiqué, signé par onze membres de la chambre des Représentants du Congrès américain, s’opposant à toute annexion de ce type, et sans mâcher leurs mots:

En qualité d’adhérents de premier plan à la relation entre Israël et les Etats-Unis, nous sommes très inquiets des rapports selon lesquels le gouvernement de coalition, actuellement en formation en Israël, compte réaliser l’annexion de la Cisjordanie. Ceci va à l’encontre de décennies de politique étrangère bi-partisane US, et à l’encontre de la volonté du Congrès, exprimée par la résolution . Res.326, s’opposant à toute annexion unilatérale et prévenant explicitement des dangers d’une telle initiative pour la paix de la région et pour la sécurité d’Israël.

As strong supporters of Israel and the United States-Israel relationship, we are deeply concerned by reports that the coalition government being formed in Israel intends to move forward with unilateral annexation of West Bank territory.  This runs counter to decades of bipartisan U.S. foreign policy and to the will of the House of Representatives as recently expressed in H.Res.326, which opposes unilateral annexation and explicitly warns against the dangers of such an effort for peace in the region and Israel’s security.

https://price.house.gov/newsroom/press-releases/members-congress-reaffirm-opposition-unilateral-west-bank-annexation-amid

Un autre danger pour Israël, dans le cas d’une telle annexion, serait la distanciation d’une prochaine administration américaine en cas de victoire de Joe Biden sur Donald Trump. Certes c’est loin d’être gagné, mais lors de son adresse au lobby israélien AIPAC, ce 1er mars, Joe Biden a clairement annoncé que seule une solution à deux Etats était viable à terme, et donc qu’une telle annexion unilatérale irait à l’encontre de la possibilité d’une paix durable, contre les intérêts israéliens et contre l’intérêt des USA:

Plus proche d’Israël, outre l’inévitable crise avec la Jordanie, les relations avec l’Egypte en prendraient un coup: c’est aujourd’hui l’Egypte qui gère la relation entre Israël et le Hamas, qui calme le jeu quand c’est nécessaire. En cas d’annexion, un soulèvement populaire égyptien pourrait fortement influencer l’attitude du dictateur Al-Sissi envers Israël.

De même en Arabie saoudite, aujourd’hui alliée d’Israël dans la lutte menée par l’axe US-Israël-Arabie contre l’axe Russie-Iran-Syrie, la crise du coronavirus et la chute massive du prix du pétrole fragilisent le pouvoir. Un régime déjà aux abois, ayant mené MbS à emprisonner l’élite de la maison royale pour se protéger d’un possible coup d’Etat (4). En cas de soulèvement populaire suite à l’annexion des colonies juives, la dictature saoudienne n’aurait sans doute d’autre choix que revenir sur sa nouvelle amitié avec Israël, ou faire face à une guerre civile.

Cela suffira-t-il à retenir le bras de Netanyahou? Gantz aura-t-il et les moyens et la volonté de s’y opposer? Pas sûr car, pour Netanyahou, la seule issue est la fuite en avant vers le chaos. Il en a besoin pour échapper a sa mise en examen pour corruption et autres délits, il en a besoin pour garder le support des extrémistes du Likoud et de Force Juive – cette dernière étant notamment la voix des coloniaux. Il n’a aucun problème avec l’extension d’un Israël sur la Cisjordanie et ses 2,6 millions de Palestiniens: ces gens-là n’auront pas accès à la démocratie de toute manière, l’Etat juif n’offrant cette possibilité qu’aux seuls juifs (5).

Ce qui est bon pour Netanyahou est mauvais pour Israël et le monde en général, ce même monde semblant aujourd’hui en convenir. Tout le monde, sauf la moitié de l’électorat juif qui ne veut pas d’une solution à deux Etats, ni même de la solution à un Etat et demi proposée par Trump et, surtout, son conseiller Jared Kushner. Ces extrémistes juifs se voient comme une espèce de pionniers reconnus par Dieu et ayant pour objectif de recréer un mythique Grand Israël, condition nécessaire au retour du Messie (6).

Si ces 220 anciens officiers israéliens ont raison, l’annexion unilatérale des colonies par Netanyahou et ses sbires pourrait en réalité signer la fin de l’Etat juif qui, isolé et submergé par une dernière et massive Intifada hors de tout contrôle d’une quelconque autorité palestinienne, disparaîtrait dans un dernier et vengeur massacre: l’Armageddon.

Jamais, sans doute, un politicien de haut vol accusé, de plus, de corruption, n’aura eut un tel alibi pour échapper à son procès.

Liens et sources:

(1)

(2) http://en.cis.org.il/wp-content/uploads/2020/04/modaa_haaretz_english_4_3_2020.pdf

(3) https://israelpolicyforum.org/2020/04/06/over-130-american-jewish-leaders-to-gantz-and-ashkenazi-oppose-unilateral-west-bank-annexation/

(4) https://www.lepoint.fr/monde/arabie-saoudite-comment-mbs-reduit-sa-famille-au-silence-11-03-2020-2366716_24.php

(5) https://www.bfmtv.com/international/l-ambassadeur-de-france-aux-etats-unis-qualifie-israel-d-etat-d-apartheid-1678136.html

(6)

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

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