Covid-19, étude des luttes ou lutte des études?

Les lignes de front des différentes politiques de défense et de traitement contre le Covid-19 ont pour étendards de nombreuses études validant tel ou tel point de vue, qu’il soit épidémiologique, médical ou idéologique. Chacun.e y va de ses études, des réputations de tel ou tel médecin ou scientifique, de ses “des études montrent que….”.

Les abonnés à ce blog savent que les liens entre vérités et études scientifiques sont parfois ténus, et ce en particulier dans le domaine des sciences médicales où l’appât du gain, le bruit de la tirelire est souvent bien supérieur à l’idéal de vérité.

De l’idée de valeur.

Ce constat n’est pas le mien mais celui de scientifiques qui conduisent des méta-études visant à estimer la reproductibilité de ces milliers de publications annuelles:

Le problème est sérieux, profond, et touche particulièrement les domaines qui nous impactent directement: la médecine, la psychologie, l’économie, les sciences sociales et politiques en général. Dès lors quand un politicien, un technocrate, un porte-parole de l’industrie pharmaceutique justifie telle ou telle position en disant que « des études ont montré que… », la plus grande vigilance s’impose car il est très probable que ces études ne démontrent en fait rien d’autre que les biais (inconscients) et les intérêts (conscients) particuliers de leurs commanditaires.

https://zerhubarbeblog.net/2017/10/18/la-plupart-des-articles-scientifiques-nont-aucune-valeur/

Dans le domaine médical, en particulier, la course à la publication a un effet délétère sur la qualité des études, et les comités de lecture par des pairs n’y changent pas grand chose:

Certes la plupart de ces études passent par le filtre du peer review mais les gens qui conduisent ces relectures n’ont le plus souvent pas accès à l’ensemble des données ni aux méthodes de tri des données. Parce qu’elles ne sont pas publiées, et surtout par manque de temps. Le peer review, ou « relecture par les pairs », ne vérifie que la cohérence méthodologique globale de l’étude elle-même alors que le diable, comme chacun sait, se cache dans les détails.

https://zerhubarbeblog.net/2017/10/18/la-plupart-des-articles-scientifiques-nont-aucune-valeur/

En 2015 le Dr Richard Horton, rédacteur en chef du fameux magazine The Lancet, l’une des grandes références en matière d’études médicales, publiait dans ce même Lancet un brûlot condamnant la piètre qualité scientifique des articles que publiait son industrie:

« Une bonne partie de la littérature scientifique, peut-être la moitié, est sans doute tout simplement fausse. Affligée par des études sur de petits échantillons, des effets minuscules, des analyses exploratoires non valables, pétrie de flagrants conflits d’intérêts, avec de plus une obsession de participer aux tendances à la mode mais sans importance, la science à pris un virage vers l’obscur. »

https://zerhubarbeblog.net/2015/06/29/la-moitie-des-etudes-biomedicales-seraient-fausses-selon-the-lancet/

Le principe de la publication scientifique via magazines spécialisés (et très chers si réputés) est en lui-même une vaste arnaque, dénoncée par une bonne partie de la communauté: le public paie pour une recherche scientifique qui ne lui est ensuite accessible que via des revues qu’il ne peut pas se payer (1).

La montée de sites de prépresse et l’accès scientifique au grand public.

Face à cette situation on a vu fleurir des sites de partage et des “prépresse”, là où des scientifiques (les bons comme les mauvais) peuvent publier leurs études, rendues ainsi publiques, avant tout passage par comité de lecture et toute publication “officielle”. En général, 70% de ces articles sont publiés, 30% rejetés. Ce en temps normal, mais dans le temps de crise que nous connaissons actuellement les études relatives au Covid-19 ont explosé dans un très cours laps de temps: alors qu’il faut, habituellement, environ six mois pour mener à bien ce genre d’études, les délais actuels se comptent plutôt en semaines, sinon en jours.

Prépresse et hydroxychloroquine.

Le serveur medRxiv, créé en 2019 pour la pré-publication médicale, a publié 1 100 articles sur les huit premiers mois, et 3 700 articles sur le SARS-COV-2 et le Covid-19 en deux mois! On y trouve, entre autres, la fameuse étude chinoise sur l’effet de l’hydroxychloroquine sur les patients Covid-19 publiée le 27 avril, et dont la conclusion est la suivante:

Le traitement à l’hydroxychloroquine est associé de manière significative à la diminution de la mortalité des patients gravement atteints de COVID-19, via l’atténuation des inflammations par “tempête de cytokine”. L’hydroxychloroquine devrait donc être prescrite pour le traitement de patients en état grave Covid-19 afin de sauver des vies.

Hydroxychloroquine treatment is significantly associated with a decreased mortality in critically ill patients with COVID-19 through attenuation of inflammatory cytokine storm. Therefore, hydroxychloroquine should be prescribed for treatment of critically ill COVID-19 patients to save lives.

https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.04.27.20073379v1

Des commentaires sur ces études peuvent être publiés par les lecteurs, ou comme pour ce cas particulier une évaluation peut être publiée ailleurs, par exemple celle faite par le Dr Didier Raoult, de cette même étude, sur le site de l’institut marseillais:

En conclusion, l’étude de Yu et al. est la première étude comparative robuste sur un grand nombre de patients sans suspicion de mauvaise conduite scientifique évaluant l’effet de l’hydroxychloroquine sur la mortalité. Dans ce contexte, la diminution du risque de décès par trois associé à ce traitement est à même de modifier la décision thérapeutique des cliniciens du monde entier qui soignent des patients infectés par COVID-19. Ces résultats devraient impacter les décisions des autorités sanitaires des pays restreignant son utilisation. Enfin, l’interleukine-6 devrait être dosée chez tous les patients COVID-19 à l’admission pour aider à la décision vu sa valeur prédictive presque parfaite (AUC 0.98) pour la défaillance respiratoire.

https://www.mediterranee-infection.com/lecture-critique-de-letude-de-yu-et-al-medrxiv-2020-freng/

Toujours sur cette même chronique qui défraie la chloroquine depuis deux mois, ce même Dr Raoult a publié sa propre étude, sur un autre site “prépresse”, Science Direct, dont la conclusion est la suivante:

L’administration de la combinaison HCQ (Hydroxychloroquine) + AZ (azithromycine) avant complications par Covid-19 est sûre et associée à un très faible taux de mortalité de ces patients.

Administration of the HCQ+AZ combination before COVID-19 complications occur is safe and associated with very low fatality rate in patients.

https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1477893920302179?via%3Dihub

Je n’ai évidemment aucun avis sur la polémique médicale autour de l’hydroxychloroquine ni des traitements en général. J’illustre ici simplement les voies multiples que peuvent emprunter les études avant toute parution définitive dans telle ou telle revue de renom.

Tout ceci était quasi impossible avant les sites de prépresse. Leur existence à non seulement accéléré le temps entre la fin d’une étude et sa publication, mais a aussi donné au public l’accès à un vaste panorama de savoirs sans passer par les fourches caudines des fameuses revues à comité de lecture.

En temps normal c’est clairement une très bonne chose. En période de crise, là où plein de gens cherchent à justifier l’une ou l’autre posture plus ou moins idéologique grâce à une (apparence de) légitimité scientifique, c’est plus compliqué car tout le monde n’est pas formé pour interpréter correctement ces études, et encore moins faire le tri entre le plausible et le n’importe quoi.

Or, nous savons pertinemment qu’en matière de publication médicale – là où des fortunes sont parfois en jeu, comme pour le fameux antiviral Remdesivir porté par l’industrie pharmaceutique – certains intérêts n’ayant rien à voir avec l’intérêt sanitaire de la population sont nettement plus présents que l’intérêt scientifique proprement dit. Illustration parue hier dans Le Figaro:

Mercredi dernier, le conseiller scientifique «Covid» de la Maison-Blanche, d’habitude très mesuré, a en effet déclaré qu’un essai clinique mené par son institut apportait d’«assez bonnes nouvelles». Mais le même jour, une étude chinoise publiée dans la revue scientifique The Lancet arrivait à la conclusion inverse: «le remdésivir n’est pas associé à un bénéfice clinique statistiquement significatif».

https://www.lefigaro.fr/sciences/coronavirus-confusion-autour-de-l-antiviral-remdesivir-20200504

L’étude française EHESP sur le confinement.

Autre exemple permettant de mieux cerner les limites de la supposée autorité des études scientifiques, celle de l’étude de l’EHESP (Université de Rennes) sur les bénéfices du confinement français. Publiée en prépresse, elle fut néanmoins citée par Edouard Philippe lors de son “discours du déconfinement” du 28 avril, dont je démontais les grosses ficelles ici (2), comme preuve du succès du confinement qui aurait permis de sauver 60 000 vies.

Il fallait d’une part lire l’étude en question pour comprendre le subtil mensonge du premier ministre: l’étude associait ce gain de vies non pas au confinement en tant que tel, mais à la mise en place de mesures barrières – dont le confinement sans doute, mais pas que (3). Et d’autre part, attendre une première évaluation qui vient de paraître dans le Journal International de Médecine et qui “dézingue” quelque peu ladite étude:

La lecture de l’article semble donc suggérer que le modèle surestime notablement les effets positifs du confinement. Il est donc nécessaire de valider ou d’infirmer cette hypothèse par une étude statistique.

https://www.jim.fr/medecin/jimplus/e-docs/etude_critique_dune_modelisation_des_effets_du_confinement__182808/document_edito.phtml

Etudier les études.

Il est très difficile pour un non-expert d’évaluer ce type d’études. On ne connait rien des hypothèses qui servent de base aux modèles, on ne connait pas le détail des résultats donc on ne peut pas se rendre compte des éventuels biais, volontaires ou non, qui s’y cachent. D’autant qu’une étude qui n’est pas entièrement correcte n’en est pas nécessairement entièrement fausse ou inutile pour autant, et inversement.

De nombreuses études observationnelles, qui se basent uniquement sur des faits observés sur le terrain (comme c’est le cas pour l’étude initiale de Didier Raoult, qui refuse de faire du “double aveugle” car cela reviendrait à condamner ceux et celles recevant un placebo plutôt que le “vrai” médicament), tous les facteurs ne sont pas connus et certaines conclusions peuvent se révéler fausses plus tard du fait d’analyses différentes.

C’est inhérent au processus scientifique, il faut faire avec et, dans le cas de crises sanitaires, évaluer le rapport risque-bénéfice de la chose – ce qui ne peut se faire que par des gens expérimentés, pas par des théoriciens.

Il convient également de différencier les études réelles, observationnelles ou expérimentales (par exemple les études cliniques en double aveugle telle l’étude Discovery actuellement en cours), des études à base de modèles. Tout comme en physique, en climatologie, en économie ou en finance, la modélisation est hautement dépendante des hypothèses de départ ainsi que de leurs poids relatifs dans l’exécution des calculs de simulation, or ces informations ne sont généralement pas connues du public.

Le cas du Imperial College.

Elles ont pourtant, parfois, un impact fort, comme par exemple l’étude réalisée par le Imperial College de Londres en avril. Cette étude, basée sur de la modélisation, prévoyait une catastrophe sanitaire (250 000 décès) si le gouvernement de Boris Johnson persévérait dans sa stratégie “à la suédoise” d’aller directement vers l’immunité collective sans passer par la case confinement “à la française” (4).

Paniqué, le gouvernement britannique fit volte-face et imposa un confinement similaire aux approches latines (France, Italie, Espagne). Certes le nombre de décès britanniques se situe actuellement bien en-dessous de 250 000, mais est-ce vraiment dû à ce changement de politique? Si l’on observe le cas suédois, justement, c’est loin d’être évident vu que la Suède s’en tire, toutes proportions gardées, aussi bien que les pays ayant fortement confiné (5).

De futures analyses nous le diront peut-être, mais il est possible que le modèle Imperial ait en réalité été une catastrophe, que les Britanniques auraient pu s’en tirer avec nettement moins de dommages socio-économiques pour un surcoût sanitaire raisonnable. Tout comme en France, où personne ne s’est posé la question du rapport coût-bénéfice du confinement prolongé (6), une gouvernance inepte nous menant d’un pas guerrier vers l’abîme.

Humour britannique sans doute, le “roi du confinement” britannique ayant mené l’étude de Imperial, Neil Fergusson, vient de se voir obligé de démissionner suite à la révélation qu’il avait lui-même brisé ledit confinement afin de faire venir sa chérie en douce. Ou faire doucement venir sa chérie, l’info ne le précise pas (7).

Infodémie.

Il faut donc faire attention à cet afflux d’études dont on ne sait pas, vu les vitesses de publication, ce qu’elles valent vraiment. Il faut surtout se méfier de l’usage qui en est fait par les multiples journalistes, commentateurs, politiciens, lobbyistes et autres épidémiologistes de salon en fonction de leurs propres intérêts. L’OMS parle d’une “infodémie”, qui tend à noyer le débat scientifique au sein d’une assourdissante cacophonie.

Une règle de base, donc, serait de toujours aller voir les sources des études citées. Ce qui est effectivement dit, par qui, payé par qui (pas toujours évident à trouver), et sur base de quelles méthodes. Une autre règle serait d’admettre que la science tend à avancer de faux en moins faux, que les vérités sont le plus souvent temporaires, et qu’en matière médicale il y a toujours un rapport risque-bénéfice à trouver, souvent de très forts intérêts commerciaux, et jamais de vérité absolue.

Liens et sources:

(1)

(2)

(3)

(4) https://www.imperial.ac.uk/news/196234/covid-19-imperial-researchers-model-likely-impact/

(5)

(6)

(7) https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200506.OBS28447/le-scientifique-britannique-neil-ferguson-qui-avait-preconise-le-confinement-demissionne-apres-l-avoir-enfreint.html

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

18 réponses

  1. […] John Ioannidis montre ensuite comment le modèle crée par l’Imperial College de Londres tente de démontrer l’efficacité du confinement en utilisant un mauvais modèle et une sélection ad hoc des données. C’est là où l’on retrouve l’instrumentalisation politique sous une apparence scientifique, ou comment justifier de mesures hautement délétères, anti-démocratiques et répressives sous couvert d’analyses sophistiquées. Un problème déjà largement discuté sur ce blog (2). […]

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