Brexit Poker 23: la fin du temps approche.

Le précédent épisode de la série Brexit date de janvier 2020, au moment de l’agonie du monde d’avant. Avant le Covid-19 et son cortège de morts, de mesures absurdes, de reculs totalitaires sous le joug de technocraties ineptes.

Le Royaume-Uni a payé, et paie toujours, un lourd tribu à l’impéritie de son propre Santé Suprême ayant enfermé le pays dans un confinement de longue durée et des restrictions de déplacement vers le continent, un confinement aux conséquences catastrophiques:

Une étude, menée par un groupe d’économistes et professeurs des universités de Sheffield et Loughborough, suggère que plus de 21 000 personnes sont décédées des effets des mesures (de confinement, ndt) introduites en mars.

A study by economists and academics from Sheffield and Loughborough universities suggests that more than 21,000 people have died as a result of the measures, which were introduced in March

https://www.telegraph.co.uk/news/2020/07/29/lockdown-has-killed-21000-people-say-experts/

Initialement parti dans la “bonne direction” d’une recherche d’immunité de groupe, suivant en cela les stratégies suédoises et néerlandaises basées sur l’intelligence et l’information, plutôt que l’approche française basée sur le mensonge et la coercition, Boris Johnson changea de stratégie suite à la publication d’une étude bidon issue du Imperial College de Londres, qui estimait que l’approche “suédoise” risquait de tuer 250 000 personnes au Royaume-Uni.

Une catastrophe de premier ordre.

Enfermé dans cette stratégie confinatoire, qui perdure avec des mesures très restrictives concernant les déplacements vers le R.U. et les regroupements, le royaume aura encore plus souffert économiquement et socialement que de nombreux pays européens.

Le PIB du R.U. aura reculé de plus de 20% sur l’année (1), le double du recul français, ce qui s’explique en partie par une plus forte dépendance du R.U. sur le secteur tertiaire frappé de plein fouet par la gestion catastrophique de l’épidémie Covid-19.

Les conséquences sociales sont déjà terribles: doublement, à 8,5 millions, du nombre de personnes se considérant en risque d’alcoolisme. Sans parler des addictions aux tranquillisants et un stress énorme pour les gens financièrement à risque (2). Le Trussel Trust, la plus grande banque alimentaire britannique, estime que:

… au moins 670 000 personnes vont tomber sous le seuil de pauvreté pendant les trois derniers mois de l’année…. si le gouvernement retire l’allocation “Covid” pour les ménages à bas revenus.

The Trussell Trust predicts that at least 670,000 extra people will become destitute in the last three months of the year – a level of poverty that leaves them unable to meet basic food, shelter or clothing needs – if the government withdraws Covid support for low-income households.

https://www.theguardian.com/society/2020/sep/14/coronavirus-extreme-poverty-in-uk-will-double-by-christmas-trust-predicts?CMP=Share_iOSApp_Other&fbclid=IwAR3xUybiMhrHLIFkzoMBzG2SHkz6u2Gq5MdrK60ZoENl8McVWA-UIu5-sjM

Un accord de Brexit remis en cause.

Il était prévu, dans la foulée de l’accord de sortie conclu entre le gouvernement de Boris Johnson et l’UE, et validé par la claire victoire des Tories aux élections de 12 décembre 2019, que le Brexit rentrait théoriquement en vigueur dès le 13 janvier 2020.

Je dis « théoriquement » car, en réalité, l’accord conclu entre Johnson et l’UE avant ces élections stipule que les deux parties se donnent un an pour mettre au point un accord définitif. Autrement dit il n’y aura pas de Brexit avant fin 2020, et si les accords négociés entre Johnson et l’UE tiennent toujours dans un an, ce Brexit se fera vraisemblablement sur le dos des Irlandais du Nord, la nouvelle frontière entre le Royaume-Uni et l’UE se situant alors non plus entre les deux Irlandes (la République d’Irlande restant bien évidemment membre de l’UE) mais entre l’Irlande du Nord et le reste du R.U., autrement dit entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne. Du moins jusqu’en 2025. Et ensuite?

https://zerhubarbeblog.net/2019/12/15/brexit-poker-20-la-main-gagnante-de-boris-johnson/

Il se trouve que les accords de 2019 ne tiennent plus, et que la question de la frontière entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne n’attendra pas 2025. Boris Johnson vient en effet de dénoncer l’accord de 2019. Trois mois avant la deadline finale du 31 décembre 2020, il a décidé d’introduire dans le droit britannique une mesure de blocage de cet accord afin, dit-il, de protéger l’intégrité du R.U. menacé par cette frontière douanière au milieu de la mer d’Irlande.

L’onde de choc résonne encore non seulement au sein de l’UE, mais au sein même de l’establishment britannique qui reconnait le risque de délégitimation de la parole britannique. Pour eux, un tel renoncement à un traité signé et validé par ce même gouvernement relève du passage en force, du non respect du droit international, et risque de durablement entamer le capital confiance des Britanniques.

Le “bill” est passé au Parlement en deuxième lecture, malgré une opposition de principe de la part d’une vingtaine de conservateurs. Il va néanmoins devoir affronter, la semaine prochaine, une motion parlementaire présentée par le délégué conservateur Bob Neil, visant à donner au Parlement (et non au gouvernement) le contrôle de cette “arme législative”. Il devra ensuite passer par la chambre des Lords, qui a priori n’est pas enchantée par cette affaire.

Une question de frontières, encore.

Pour Boris Johnson, ce droit de blocage unilatéral d’un traité soumis au droit international se justifie par le fait que, de son point de vue du moins, l’UE n’a pas levé la menace d’interdire la livraison de produits agroalimentaires depuis la Grande-Bretagne vers l’UE, ce qui se traduirait par une possibilité de blocus de ces livraisons entre cette même Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord, située de l’autre côté de la barrière douanière afin de sanctuariser la libre circulation entre Irlande du Nord et la République d’Irlande, qui elle reste bien ancrée à l’UE.

Si cette histoire vous semble difficile à suivre, je vous invite à parcourir la vingtaine d’articles, sur ce blog, ayant suivi la saga du Brexit car en effet, c’est compliqué…

Reste qu’en matière d’export vers l’UE, tout pays non membre doit obtenir le statut de “pays tiers” (third country) pour pouvoir y exporter ses produits agroalimentaires, et apparemment l’UE n’a pas accordé ce statut au R.U. La raison, selon le négociateur pour l’UE Michel Barnier, est que le R.U. n’a pas publié ses propres règles concernant les importations vers son territoire, et que le statut de “pays tiers” dépend de la recevabilité de ses propres règles d’importation (3).

Une manœuvre pour gagner le peu de temps qu’il reste.

Il paraît assez clair que Johnson utilise ce risque, qui ne dépend en fait que de lui car l’UE n’a évidemment aucun intérêt à bloquer le commerce agroalimentaire avec le RU, pour détourner tant que faire se peut l’opinion publique du désastre covidien dont il est le principal responsable. Faute d’avoir été capable de reprendre à temps les négociations sur les termes techniques du traité pour cette fin d’année, Johnson joue la carte de la souveraineté menacée pour faire mousser les choses et se redonner une stature de Chef d’Etat.

Il bénéficie également de la signature d’un accord commercial bilatéral avec le Japon, vendu comme positif pour l’industrie et les sociétés de service britanniques grâce à une accès facilité au marché japonais (4). Reste que cet accord compte pour 0,1% du PIB britannique, donc marginal, et que ce dont les entreprises britanniques ont surtout besoin c’est d’un accord valable avec l’UE! (5).

La saga du Brexit repart donc à fond les manettes à trois mois de la ligne d’arrivée. Dans un pays martyrisé par la mauvaise gestion du Covid, à genoux économiquement, avec une population privée de liberté depuis des mois, dirigé par une équipe d’idéologues hors-sol, le Royaume-Uni se comporte tel un boxeur ensanglanté frappant de rage sur tout ce qui bouge.

Au cœur de la tempête, à gauche, un nouvel espoir.

La répression covidienne britannique dépasse ce que nous connaissons ici en France, elle-même dans le groupe de tête de la répression au sein de l’UE. La règles des six, limitant à six tout groupe constitué, en intérieur comme en extérieur, familial ou non, sous la menace d’une amende de 3,200 livres, témoigne de la violence extrême du régime britannique. La délation est encouragée (6). Police et armée préparent des “plans de contingence” pour parer à toute révolte (7).

Est-ce volontaire, une manière de soumettre la population, de briser toute velléité de révolte dans le cadre d’une catastrophe économique et sociale issue de la double peine du Covid et du Brexit? Est-ce une mesure de pure panique, l’obligation de “faire quelque chose”, même n’importe quoi, pour éviter une révolution de palais?

Les travaillistes ont en effet trouvé, en leur nouveau leader Keir Starmer, un avocat irréprochable, précis et composé face à l’exubérance de BoJo, la personne qui pourra attaquer le gouvernement sur toutes ses erreurs, mauvais jugements et incompétences, aussi bien sur la question du Covid que du Brexit. Les imprécisions, exagérations voire inventions du Premier Ministre britannique risquent de difficilement passer.

Reste que, pour l’instant, la locomotive politique britannique fonce à vive allure vers la fin de la voie, sous le regard exsangue de sa population et celui, irrité, de l’UE.

Liens et sources:

(1) https://www.euronews.com/2020/08/12/coronavirus-uk-economy-makes-record-breaking-fall-into-recession

(2) https://www.mirror.co.uk/news/uk-news/uk-faces-looming-addiction-crisis-22683284

(3) https://www.euronews.com/2020/09/14/eu-s-barnier-and-uk-s-frost-take-brexit-frustrations-onto-twitter

(4) https://www.gov.uk/government/news/uk-and-japan-agree-historic-free-trade-agreement#:~:text=The%20UK%20has%20secured%20a,an%20estimated%20%C2%A315.2%20billion.&text=UK%20businesses%20will%20benefit%20from,99%25%20of%20exports%20to%20Japan.

(5) https://www.theguardian.com/politics/2020/sep/11/japan-trade-deal-is-small-beer-but-a-welcome-distraction

(6) https://www.theguardian.com/world/2020/sep/15/families-england-covid-patel-home-secretary-rule-six

(7) https://commonslibrary.parliament.uk/research-briefings/cbp-8074/

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

10 réponses

  1. […] A tout ceci s’ajoutait la menace du Internal Market Bill, une loi voulue par Boris Johnson pour réguler, et plus précisément ne pas réguler, la frontière entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne, et ce à l’encontre de l’accord signé en 2019 pour régler le problème de la frontière douanière (1). […]

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