Tout comme un certain vin de ma région très apprécié des Britanniques, le BoJo nouveau se conserve mal, surtout s’il est secoué. Et là, le BoJo est en train de se faire secouer pire que notre bon pinard embarqué sur une Route du Beaujolais!
Après cette digression nautique relevant d’un monde disparu sous les flots de la connerie humaine, posons le problème: à sept semaines de la date de sortie officielle du Royaume Uni de l’Union Européenne, l’équipe gouvernementale se fissure telle une coque trop rigide dans une mer croisée.
La fissure, c’est le départ emblématique de Dominic Cummings et Lee Cain, piliers de la campagne pro-Brexit “Vote Leave“, l’un l’aide de camp incontournable de Boris Johnson depuis le début, l’autre son directeur de propagande communication. C’est le vent de révolte des backbenchers conservateurs, ces députés acquis à la majorité gouvernementale qui ruent, désormais, dans les brancards des unités de réanimation d’une société britannique au bord de l’asphyxie économique et sociale.
La mer croisée, c’est d’une part le tourbillon d’incertitudes lié à l’apparente impossibilité d’un accord de sortie. C’est d’autre part le piétinement des libertés publiques et individuelles si chères aux Britanniques, libertés soumises à des reconfinements sous une dictature sanitaire à la violence comparable à la situation française.
C’est aussi, bien sûr, une situation sanitaire assez catastrophique malgré toutes ces mesures qui, là-bas comme ici, ne servent à pas grand chose en termes de gestion épidémique, mais sont désastreuses pour tout le reste.
La perte de l’allié US.
Dernier train de vagues de cette mer croisée: l’apparente victoire de Joe Biden aux élections américaines, autrement dit la perte de l’allié du Brexit qu’était Donald Trump, et un face-à-face avec un nouveau Président d’origine irlandaise qui n’a aucune, mais alors aucune, sympathie pour la séparation entre les deux Irlandes (1).
Pour Joe Biden en effet, le rejet unilatéral par Boris Johnson de l’accord qu’il avait précédemment signé, un texte garantissant la liberté de circulation entre la République irlandaise et l’Irlande du Nord en plaçant la frontière douanière en mer d’Irlande – cad entre l’Irlande et la Grande-Bretagne – , au profit d’un nouvel Internal Market Bill (voir l’article Brexit Poker 23) renonçant à cette frontière interne et remettant donc sur la table, nécessairement, une frontière physique entre les deux irlandes, relève de la haute trahison.
Le Covid Recovery Group.
Une déferlante de plus que doit encaisser la coque fissurée du navire BoJo : un député britannique conservateur, Mark Harper, a voté contre la décision de reconfinement en Angleterre, au titre que cela tue plus que cela ne sauve, et mène un groupe de proposition (le Covid Recovery Group) afin de contrer la dynamique suicidaire du régime de Boris Johnson (2).
Ce groupe propose trois grandes lignes de conduite, tout à fait applicables là-bas comme ici:
1) Rendre publiques les analyses coûts-bénéfices des mesures restrictives, notamment les confinements. Analyses qui n’existent en fait pas, ces mesures relevant de postures idéologiques, ou pires.
2) Arrêter le monopole des scientifiques au service du gouvernement. Il faut des débats entre groupes d’experts indépendants, et la publications des modèles justifiant telle ou telle position.
3) Améliorer la capacité de réponse sur le terrain.
Elémentaire mon cher Watson mais, en ces temps du règne de l’absurde, la rationalité politique n’a plus cours, seuls comptent les intérêts immédiats.
Le casse-tête européen.
Même si les Brexiters prétendent que tout ira bien, une sortie sans accord serait terrible pour le Royaume-Uni, du moins à court terme. Les délais d’attente à la frontière, à Douvres comme à Calais, créeraient un chaos monstre sur les routes, mettraient en péril les transports de produits frais, mèneraient selon certains à des pénuries alimentaires, pharmaceutiques et autres secteurs fonctionnant en flux tendu. Sans parler des effets des taxes à l’importation et des blocages aux exportations britanniques, susceptibles de ne pas être compatibles avec la législation européenne, genre poulets aux hormones américains qui passeraient par le R.U.
Même si, en termes de chiffres, la pêche ne représente pas grand-chose dans les échanges globaux entre le RU et l’UE, symboliquement c’est une vraie pierre d’achoppement. L’Europe, et surtout la France, veut un accès sans conditions aux eaux britanniques. Le RU veut que cela se fasse sur base de droits de pêche, que les pêcheurs européens devraient acheter pour accéder à ses eaux.
A cela s’ajoute le question de la force du Droit. Face à un Boris Johnson venant de démontrer qu’il se sentait peu concerné par la validité des accords qu’il signe lui-même, l’Europe veut une instance juridique à même de juger les infractions qui seraient commises au terme d’un éventuel traité, et qui ne dépende pas simplement de la bonne volonté des Britanniques.
La cape, la fuite ou le naufrage?
Une mer croisée casse-Bojo, qui fait dire à certains commentateurs politiques britanniques que son naufrage arrive peut-être bien plus vite que prévu:
L’ex-allié de BoJo dans la grande manœuvre brexitienne, Nigel Farage, celui qui se payait joyeusement la tête des députés européens lors du dernier jour de la présence britannique au Parlement, est passé du bleu au vert: il estime que Johnson a trahi ses engagements en faveur du working man britannique, qu’il trahit la liberté constitutive de l’esprit british, et surtout qu’il risque de trahir son engagement en faveur d’un Brexit sans concessions.
Il fustige la gestion catastrophique autant qu’absurde de la crise covidienne, et donne ici au Premier Ministre une leçon de politique bien Faragienne qui, je dois dire, m’amuse beaucoup:
En bon marin face au gros temps, BoJo a décidé de mettre à la cape. Ayant été détecté “cas positif” suite à une rencontre avec un député, il s’est mis de lui-même en quarantaine pour deux semaines, une manière sans doute d’échapper à l’immense pression ambiante encore aggravée par la perte de sa garde rapprochée. Sachant qu’il a déjà eu le Covid et est donc probablement immunisé, et qu’il lui est facile de se faire tester, cela ressemble à une mesure de repli sans lien avec un quelconque problème sanitaire.
Laissons le mot de la fin à un vieux routard de la politique anglaise, l’ex-leader travailliste Gordon Brown, qui dit ceci:
“Je vois venir un accord assez rapidement. Le gouvernement ne peut tout simplement pas se permettre d’être en guerre en même temps sur deux fronts, l’Amérique et l’Europe, dès le début de l’année prochaine. Donc s’il (BoJo) ne change pas son Internal market bill il sera en guerre avec l’Amérique, s’il ne trouve pas un accord avec l’Europe il sera en guerre avec l’Europe.
Je pense qu’il a déjà pris la décision de trouver un arrangement, et il y aura un accord d’ici peu, je pense.”
“I see a trade deal coming pretty soon. The government simply cannot afford to be at war with America on the one hand and Europe on the other at the start of the new year. So if he [Johnson] doesn’t change his internal market bill he’s at war with America, if he doesn’t get a negotiation settled with Europe he’s at war with Europe. I think he’s made up his mind already that he’s going to get a settlement and there will be a settlement soon, I think.”
https://www.theguardian.com/politics/2020/nov/15/uk-environment-secretary-denies-cummings-exit-will-affect-brexit
Let’s hope so.
Liens et sources:
Les 23 épisodes précédant de la série Brexit Poker sont disponibles sur ce blog, mot-clé Brexit.
Ca commence déjà à coincer… https://www.bbc.com/news/business-54989299
C’est pas gagné. https://www.economist.com/leaders/2020/11/19/remaking-the-british-state?utm_campaign=editorial-social&utm_medium=social-organic&utm_source=twitter
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