Clint Eastwood n’aura jamais été plus loin que l’orbite terrestre dans Space Cowboys, mais je ne doute pas qu’il existera un jour un cratère ou une base martienne portant son nom, ni que des histoires d’amour se joueront sur la route de Mars disons, dans quelques années, décennies, ou siècles.
Près de vingt-cinq sondes ont été envoyées vers ou sur Mars depuis la toute première en 1971, par les Soviétiques, laquelle n’y survit que 20 secondes. Près du tiers se sont perdues ou écrasées (1), mais le taux de succès depuis vingt ans est plutôt bon et les agences spatiales disposent désormais d’une bonne cartographie de la planète, ainsi que pas mal d’informations climatiques, géologiques et chimiques.
Deux sondes en orbite au même moment.
Le rover Perseverance.
L’exploration de Mars nécessite beaucoup de persévérance et cela tombe bien, c’est justement le nom du gros engin à six roues que la mission Mars 2020 doit déposer sur la planète rouge ce 18 février 2021 (2). Ce rover suréquipé doit permettre d’atteindre le graal scientifique des missions martiennes, la preuve ou non d’une présence actuelle ou ancienne de vie.
La grosse différence entre Perseverance (son nom officiel anglophone) et les rovers antérieurs, outre la taille (une tonne) et le mode de génération d’énergie, est qu’il est prévu que les échantillons qu’il va prélever seront, si tout va bien, ramenés sur Terre en 2031 via une collaboration entre la NASA et l’ESA (l’agence spatiale européenne) (3).
Imaginez si Francesca et Robert avaient pu faire preuve d’une telle vision à long terme! Enfin, j’imagine que le déconfinement n’avait pas, à l’époque, la même valeur qu’aujourd’hui.
Le moment crucial de toutes les missions martiennes est l’atterrissage, qui doit être entièrement automatisé vu que le délai de transmission entre Mars et la Terre ne permet pas de communication en temps réel. La gravité sur Mars est de moitié de celle sur Terre, mais la faible densité de son atmosphère rend les parachutes assez peu efficaces. Le système imaginé pour le rover Curiosity, posé en 2012 (4), est réutilisé pour Perseverance mais adapté pour un poids et un volume supérieur:
La mission primaire doit durer jusqu’en 2023, ensuite ce sera fonction des résultats, de la santé du matériel, et du financement.
Tianwen-1, première sonde chinoise.
La sonde chinoise Tianwen-1 arrivera dans l’orbite de Mars en même temps que Perseverance, c’est-à-dire dans quelques jours. L’orbiteur passera deux mois en orbite afin d’étudier le terrain, puis lancera son rover vers la surface (5). Ce serait sympa d’organiser une petite fête avec les deux vieux rover Opportunity et Spirit (6), Curiosity, Perseverance et le premier visiteur chinois, Tianwen-1!
Des missions de préparation.
Ces missions d’exploration ont pour but de préparer le terrain de futures missions habitées. La géologie, l’existence d’eau et de produits de base tel le méthane pour la production d’énergie, la recherche de cavités souterraines permettant de créer des habitats protégés des rayons cosmiques, font partie des nombreux objectifs.
Le retour des vols habités.
Lanceur lourd SLS.
Relégués jusqu’il y a peu aux calendes grecques, les projets de vols habités ont resurgi, du moins aux USA, sous la double impulsion de Donald Trump pour la NASA, et de Elon Musk pour SpaceX. Le programme à long terme de la NASA visant à remettre des hommes sur la Lune fut accéléré sous Trump, avec un objectif de retour sur la Lune en 2024. Projet désormais baptisé Artemis et censé décoller sur la (très grosse) fusée SLS de la NASA:
Le Space Launch System ou SLS est un lanceur spatial super-lourd américain développé par la NASA depuis 2011 et dont le premier vol est planifié pour 2022. Le SLS joue un rôle central dans le programme Artemis dont l’objectif est d’envoyer des équipages à la surface de la Lune et préparer les futures missions habitées vers Mars. Cette fusée sera chargée d’injecter le vaisseau Orion transportant l’équipage sur une trajectoire à destination de la Lune.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Space_Launch_System
Le récent échec (7) du test des moteurs du SLS pourrait sérieusement retarder ce programme, qui a déjà perdu deux ans sur son planning initial (le premier vol devait avoir lieu en 2018…). Les ratages et les retards font évidemment partie du développement des engins de l’espace, mais la technologie du SLS n’est pas récente, c’est une mise à jour de celle de l’ère de la navette spatiale. Le SLS doit transporter entre 70 et 130 tonnes en orbite, ce qui est énorme.
Fusée interplanétaire Spaceship.
Enorme, mais à la portée du fabricant et opérateur privé SpaceX, du fameux Elon Musk. Après avoir piqué le marché des lanceurs classiques à la Delta IV de la NASA avec sa fusée réutilisable Falcon 9, SpaceX s’attaque à l’interplanétaire avec son – déjà mythique – Spaceship. Cette fusée réutilisable en inox doit, à l’aide de son booster SuperHeavy, permettre le lancement d’une charge de 100 tonnes, et son objectif est d’aller sur Mars, puis revenir.
Le premier essai du Spaceship eut lieu en décembre (8), se terminant par un joli crash. Le second essai eut lieu hier, le 2 février, se terminant lui par un crash d’anthologie:
La technologie du Spaceship est très différente de celle du SLS: la réutilisabilité d’une part, les moteurs d’autre part. Ceux du SLS, dits RD-25, brûlent un mélange d’oxygène et d’hydrogène, alors que les Raptors du Spaceship utilisent du méthane à la place de l’hydrogène. Méthane que l’on peut fabriquer sur Mars (9), alors que fabriquer de l’hydrogène ailleurs que sur Terre serait plus compliqué.
Longue Marche 9.
La Chine développe également un lanceur lourd avec une capacité de l’ordre de 130 tonnes, la Longue Marche 9, mais dont le premier vol n’est pas prévu avant 2030. Cette fusée vise également le transit de vols habités vers la Lune puis vers Mars. Néanmoins la priorité immédiate de la Chine, en termes de vols habités, reste la mise en œuvre de sa station spatiale (10).
Angara-100.
Ce lanceur lourd russe d’une capacité de charge de 100 tonnes n’existe à l’heure actuelle qu’à l’état de projet. Le plus gros lanceur russe disponible aujourd’hui est le nouveau Angara-5, d’une charge de 28 tonnes, remplaçant la vénérable fusée Proton.
Inde et Europe?
L’Inde, de son côté, a aussi un projet pour un lanceur lourd pour une charge de 60 tonnes, mais rien de spécifique pour le moment. Idem pour l’Europe, avec le remplacement en cours d’Ariane 5 par Ariane 6, qui reste un “petit” lanceur hors course pour les projets interplanétaires. D’ici 20 ans il y aura peut-être un équivalent européen au Spaceship, pré-nommé Ariane Ultimate (11), mais absolument rien n’est encore fait de ce côté.
Mars ou crève!
Ce petit tour d’horizon montre que les projets de vols habités vers la Lune et Mars, endéans les dix ans à venir, restent une spécificité américaine. La mission Artemis de la NASA, si elle arrive à son terme, mettra à nouveau des hommes sur la Lune dans les 4-8 années à venir, et permettra peut-être la création d’une première base permanente qui servirait, entre autres, de relai logistique entre la Terre et la Lune.
Le programme de SpaceX est autrement plus ambitieux, pour ne pas dire Martial:
El;on Musk envisage une rotation de trois tirs par jour, soit environ mille tirs par an soit 100 000 tonnes de matériel / population par unité Starship. Mais il compte fabriquer mille Starships sur dix ans, ce qui à terme donnerait une capacité de mise en orbite annuelle de 100 000 000 (cent millions de tonnes).
Pour faire quoi: une première base sur la Lune mais, surtout, une base permanente sur Mars où Musk imagine qu’un million d’humains pourraient habiter d’ici 30 à 50 ans. Sachant que la fenêtre de tir Terre-Mars optimale ne se présente qu’une fois tous les 26 mois, une flotte de mille Starships contenant humains et matériel quitterait son orbite d’attente autour de la Terre pour s’envoler vers la planète rouge une fois tous les deux ans.
https://zerhubarbeblog.net/2020/01/29/elon-musk-et-la-grande-evasion-spatiale/
Elon Musk compte sur un premier vol habité vers Mars entre 2024 et 2026, vol qui serait précédé par un ou plusieurs vols non habités pour y emmener du matériel. Un tel exploit semble tout simplement impossible, mais les fusées réutilisables le semblaient tout autant avant de devenir réalité, tout comme le décollage et le vol plané d’une fusée en acier inox, donc attendons.
Il n’est en tout cas pas impossible que la question du rapatriement des échantillons de Perseverance soit résolue par SpaceX. J’imagine la tête du rover voyant arriver vers lui quelques types avec une brouette et un frigobox, puis se mettant à creuser le sol avec pelles et pioches pour prendre des kilos d’échantillons alors que lui-même garde précieusement, depuis des années, quelques centaines de grammes de sous-sol martien arrachés avec peine au terme d’un voyage suicidaire. Mars ou crève, qu’ils disaient!
Liens et sources:
(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_missions_vers_Mars
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Mars_2020_(mission_spatiale)
(5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Tianwen-1
(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Opportunity
(7) https://www.space.com/nasa-sls-megarocket-artemis-1-engine-test-fire
(8) https://zerhubarbeblog.net/2020/12/11/le-vol-historique-de-starship-sn8/
(10) https://fr.wikipedia.org/wiki/Station_spatiale_chinoise
Sur RT America, la bagarre entre Elon Musk, Jezz Bezos et la FCC sur l’accès à l’espace: https://youtu.be/mNkxNhRsBh8
La sonde Hope, financée par les Emirats Arabes Unis, arrive également en orbite martienne. https://www.newscientist.com/article/2266796-the-united-arab-emirates-hope-orbiter-is-about-to-arrive-at-mars/?utm_source=nsday&utm_medium=email&utm_campaign=NSDAY_080221
Ca va bouchonner! http://www.slate.fr/story/200691/trois-missions-rivales-vont-atteindre-mars-en-quelques-jours
Premières images de Tianwen-1: https://phys.org/news/2021-02-china-space-probe-image-mars.html?fbclid=IwAR1L2hT1QUB5ys_Y4Tbcn1tEQx90Gpj3Ivp6ucTCQ8vWkQ9vxMx8_edd6ws
https://physicsworld.com/a/exomars-craft-finds-hydrogen-chloride-in-the-martian-atmosphere/
Perseverance est bien arrivé! https://www.space.com/news/live/mars-perseverance-rover-updates
Premières images de l’atterrissage: https://www.newscientist.com/article/2268700-nasas-perseverance-rover-has-sent-back-incredible-images-from-mars/?utm_source=onesignal&utm_medium=push&utm_campaign=2021-02-19-Incredible-imag
[…] (1) https://zerhubarbeblog.net/2021/02/04/sur-la-route-de-mars/ […]