La menace Woke!

Non, il ne s’agit pas d’un nouvel épisode de Starwars. Par contre il pourrait bien s’agir d’une menace contre l’ensemble de la saga, qui serait certainement interdite si les “Woke” prenaient le pouvoir et imposaient leur hypocrisie moraliste à la culture populaire.

Pourtant cela n’avait pas si mal commencé. Le terme woke, signifiant “éveillé”, était apparu vers 2010 avec l’émergence du mouvement anti-racisme Black Lives Matter.

Depuis la fin des années 2010, le terme Woke s’est déployé et aujourd’hui une personne « woke » se définit comme étant consciente de toutes les injustices et de toutes les formes d’inégalités, d’oppression qui pèsent sur les minorités, du racisme au sexisme en passant par les préoccupations environnementales et utilisant généralement un vocabulaire intersectionnel.

Le terme Woke est non seulement associé aux militantismes antiracisteféministe et LGBT mais aussi à une politique de gauche dite progressiste et à certaines réflexions face aux problèmes socioculturels (les termes culture Woke et politique Woke sont également utilisés).

https://fr.wikipedia.org/wiki/Woke

Un nouveau djihad contre la liberté d’expression.

Ca, c’était au début. Aujourd’hui, le mouvement Woke opère une scission entre ceux et celles pour lesquelles l’identité n’est qu’un paramètre parmi d’autres et où le dialogue politique s’inscrit dans un cadre a priori universaliste, et un mouvement sectaire pour lequel l’identité est tout, une prison mentale où l’humain disparait derrière l’essentialisation de ses aspirations victimaires.

Sur France Culture, en décembre dernier:

Le but de cette enquête était de faire le point d’une idéologie. C’est un phénomène qui a débordé des campus américains et s’est introduit au sein de la société mais aussi de l’autre côté de l’Atlantique. Nous voulions décrire mais aussi alerter sur les dérives de cette idéologie qui nous paraissait extrêmement dangereuse

https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-mediatique/cancel-culture-woke-quand-la-gauche-americaine-devient-folle

Le monstre a effectivement traversé l’Atlantique et creusé sa tanière en France:

Une conférence sur Napoléon? Déprogrammée. Une pièce de théâtre grecque antique? Reportée. Un cours de «prévention de la radicalisation»? Ajourné. Ces derniers mois, dans les grandes écoles et universités françaises, de nombreux événements ont été annulés à la suite de menaces proférées par certains étudiants ou militants aux chefs d’établissements. Faut-il s’inquiéter de la disparition de la liberté d’expression dans les universités françaises? Au sein de la communauté universitaire, de multiples voix commencent à s’élever pour dénoncer une censure de plus en plus importante.

https://etudiant.lefigaro.fr/article/censure-menaces-violences-la-difficile-liberte-d-expression-dans-les-universites-francaises_16709950-d0d2-11ea-ab5c-a9f66a0b9ed5/

Dans Marianne, au même moment:

Victime du politiquement correct américain. En 2017, le professeur Bret Weinstein, un chercheur de gauche, avait dû démissionner de l’université d’Evergreen (État de Washington) après s’être opposé à une journée « anti-Blancs ». Il n’avait été soutenu que par des médias marqués à droite. Dans un long entretien au Figaro ce vendredi 18 décembre, le premier accordé à la presse française, il revient sur ce courant intellectuel, qu’on qualifie de “woke”, et le danger qu’il représente pour les démocraties occidentales.

Dans certaines universités élitistes d’Amérique du Nord, des étudiants ne toléreraient plus le débat et les remises en cause. Toute pensée alternative à « l’intersectionnalité » serait considérée comme déviante et les réfractaires incités à reconnaître publiquement leurs fautes. Une dérive totalitaire pour Bret Weinstein qui raconte que « les gens ne prennent pas ces mouvements au sérieux parce qu’ils sont ridicules ». Et d’ajouter, « mais quand ils s’y retrouvent confrontés, ils n’ont plus qu’un choix : soit se soumettre, soit être détruits ».

https://www.marianne.net/monde/ameriques/se-soumettre-ou-etre-detruit-le-temoignage-dun-chercheur-americain-victime-du-mouvement-woke-a-luniversite-devergreen

Le Woke est le politiquement correct version hardcore fétichiste, l’équivalent gaucho-victimaire de l’extrême-droite suprémaciste, la caricature inversée du trumpisme, Des opposés qui sont en fait les deux faces d’une même pièce: déshumanisation de toute opposition, sentiment de supériorité morale poussé à l’extrême, refus voire incapacité psychologique d’entendre autre chose que la voix de son propre clan.

Vincent Cespedes présente ainsi le Woke:

De l’anti-racisme au racialisme.

La “racialisation” est la pierre angulaire du Woke, une transposition de la lutte contre le racisme en un racisme exacerbé qu’exècrent aussi, heureusement, nombre de celles et ceux censés se ranger sous sa bannière:

Ismaël Saïdi se décrit comme un Belge, d’origine marocaine, de confession musulmane, et de culture judéo-chrétienne et laïque. Des couches qu’il présente comme indissociables. Alors la question qui fâche : est-ce que Ismaël Saïdi est une personne racisée, une personne qui souffre de discrimination raciste ? « J’ai toujours détesté qu’on me mette dans une case, ‘racisé’ c’est la pire insulte qu’on peut me faire. Dire que je suis racisé, c’est dire que vous et moi on n’a rien en commun, on n’a rien à se dire… Ça recommence ! Ça revient à dire que je souffre à cause de quelqu’un. Il faut qu’on arrête avec ça et qu’on laisse plus de place à l’humanité ! »

https://www.lesoir.be/353510/article/2021-02-06/ismael-saidi-racise-cest-la-pire-insulte-que-vous-puissiez-me-faire?fbclid=IwAR13j8Xo0EAX7g8NamtLGkybjWQZt8FomwLAb2_hvt3tqEXCE0S5L0OmmbY

Le britannique Douglas Murray vient de faire paraître la traduction française de son best-seller “La grande déraison”, que l’éditeur introduit ainsi:

Dans ce nouveau livre, Douglas Murray examine des questions centrales du XXIème  siècle : la sexualité, le sexe, la technologie et la race. Il montre que ces sujets vont être les détonateurs principaux de la violence dans les prochaines années. Il met en lumière, exemples à l’appui, les nouvelles guerres culturelles qui se déroulent dans nos lieux de travail, universités, écoles et foyers au nom de la justice sociale, de la politique identitaire et de «l’intersectionnalité».

A l’époque postmoderne, les grands récits religieux et politiques se sont effondrés. A leur place ont émergé un désir croisé de redresser les torts perçus et une militarisation de l’identité, toutes deux accélérées par la puissance des médias sociaux.

Des groupes d’intérêts étroits dominent désormais l’agenda alors que la société devient de plus en plus tribale.

Murray cherche à insuffler un certain bon sens dans et termine par un appel passionné à la liberté d’expression, aux valeurs communes et à la raison, dans une époque où règne chaque jour un peu plus l’hystérie de masse.

https://www.editionsartilleur.fr/produit/grande-deraison-murray/

Livre repris dans les dernières chroniques de Brice Couturier sur France Culture. Je suis souvent en désaccord avec B. Couturier sur ses analyses, mais pas sur sa défense du rôle central de la liberté d’expression remis en cause par les Woke:

Alerte ! Une idéologie qui est parvenue à se faire passer pour un savoir a débordé du cadre des universités américaines. Elle a envahi les médias, les administrations, les grandes entreprises. Et elle commence à s’infiltrer aussi chez nous. Dans son essai La grande déraison, Douglas Murray met en garde contre ce qu’on appelle désormais les “woke”, terme que l’on pourrait traduire par “conscientisés” ; ou encore les “social justice warriors”, les combattants de la justice sociale, comme les surnomment leurs adversaires.

https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/le-tour-du-monde-des-idees-du-lundi-08-fevrier-2021

Le “savoir” dont parle ici B. Couturier est un ersatz de philosophie à la Foucault, Gramsci et Derrida associé à un “Marxisme” où les “dominés” et les “minorités” remplacent le prolétariat ouvrier, le tout encadré par une langue de bois victimaire formant le socle d’une politique sectaire visant à un formatage de la pensée, de la communication et de la culture selon des normes strictes de bienséance intersectionnelle.

Un sport olympique.

A tel point que des auteurs d’articles et de bouquins, pour le moment essentiellement anglophones, se font relire par des spécialistes Woke pour éviter toute mauvaise surprise. Néanmoins les Woke ne sont pas nécessairement des “racisés” ou “intersectionnels”, au contraire: c’est le blanc, et en particulier le mâle blanc, l’oppresseur ontologique, qui a le plus besoin d’être “éveillé” et, surtout, de le montrer.

L’afro-américaine Maya Binyam, sociologue et contributrice à plusieurs journaux dont le New York Times (1), publiait en 2016 un article intitulé “Watching Woke Olympics” (“En train de regarder les jeux olympiques du Woke”) où elle montre en quoi le simple fait de nommer les personnes et les choses “racistes” n’a pas d’effet sur le vrai racisme, celui associé aux systèmes et aux institutions. Le blanc ne s’affranchit pas du racisme en faisant de sa dénonciation superficielle un sport olympique:

Le racisme n’est pas une question à régler par un “oui” ou un “non”. Lorsque la vigilance devient un jeu, les dangers posés par l’injustice commencent à se sentir arbitraires. Les Jeux olympiques de Woke, à leur tour, fonctionnent à la fois comme un sport et comme une fausse conscience, soutenus par la croyance erronée que l’éradication est le résultat naturel de la reconnaissance de l’existence de la haine. Si la haine est affective, elle ne peut que laisser son empreinte là où nous sommes le moins susceptibles de la détecter. Nous serions mieux servis en nous attachant aux résidus de la haine : non pas les corps dans lesquels elle est présumée résider, mais les individus et les communautés qu’elle continue de hanter.

Les Blancs ne peuvent pas être absous de leurs liens ; nous sommes liés ensemble. Non pas dans une chute, une lutte ou tout ce qui ressemble à un jeu, mais dans un nœud laid et implacable. La haine circule de façon imprévisible, et elle emmêle souvent ceux qui tentent de la nommer. Si les Blancs cherchent une retraite facile, je leur suggère d’arrêter de chercher. Nous ferions bien de nous attarder sur ces liens que nous appelons la haine – d’annuler le tournoi, et de recentrer notre attention sur la recherche d’un langage pour le racisme qui persiste lorsque les blancs ne le transpirent pas : lorsqu’ils pensent avoir déjà gagné le jeu, ou lorsqu’ils ne savent pas du tout qu’ils y jouent.

https://www.theawl.com/2016/04/watching-the-woke-olympics/

Tout comme les islamistes d’origine occidentale (lire: blancs) sont souvent les pires du fait qu’ils doivent prouver la force de leur haine envers leurs origines reniées, les Woke blancs doivent être à l’avant-garde de la vigilance et de la dénonciation de toute trace non Woke, surtout si elle mène à d’autres blancs.

De nos jours, beaucoup de gens entendent faire étalage de leur vertu en montant sur des barricades auxquelles personne ne songe à donner l’assaut. Le problème, c’est que cette posture combative donne lieu à des comportements qui ne favorisent guère la liberté de pensée et d’expression. Au nom de leur conception de la justice sociale, focalisée sur les uniques critères de la race et du genre, les woke ont la passion d’empêcher, de censurer, d’interdire. De plus en plus d’intellectuels, invités par des enseignants ou des étudiants, font l’objet d’une interdiction plus ou moins violente, une fois arrivés sur place. Y compris des féministes historiques, boycottées par des mouvements trans.

https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/le-tour-du-monde-des-idees-du-mercredi-10-fevrier-2021

Syndrome du moralisme hystérique.

Le mouvement Woke fait partie de l’hystérisation du monde, là où le moralisme émotif prend le pas sur l’intelligence:

Les gens partageant un intérêt commun se regroupent sous des bannières moralistes qu’ils ou elles défendent essentiellement avec des armes émotives, les seules à même de faire fi de toute argumentation rationnelle, rendant inaudible toute justification du camp adverse. Le terrain neutre n’existe plus, on est soit pour ou contre, et le summum de l’expression moraliste, de l’auto-héroïsation est de dire « non ».

https://zerhubarbeblog.net/2018/04/23/du-liberalisme-au-moralisme-emotif/

Chacun et chacune étant désormais libre de choisir ses sources, ses vérités et ses bulles auto-référentielles via les réseaux sociaux, le terrain commun disparaît et l’on choisit le combat que l’on veut en fonction de ses intérêts sociaux, professionnels ou politiques. L’argumentaire rationnel ne pouvant exister sans un minimum de socle commun, ne restent que le moralisme, l’émotivité et l’hystérie dont le Woke est un exemple aussi parfait que caricatural.

A l’origine, une expérience personnelle.

Rien de ceci ne nie un fond dont le Woke est juste une forme pervertie: si j’étais un Noir américain craignant pour ma vie à chaque fois que je croise les flics, j’aurais un autre regard sur la lutte anti-raciste que celui que j’ai du fait de ma situation réelle. Nos expériences façonnent notre manière d’appréhender le monde et même si, comme beaucoup d’autres, je trouve grossièrement exagérés les récents propos d’Assa Traoré qui explique que:

«oui, nous sommes en danger, oui les Noirs sont en danger, oui les Arabes sont en danger, les personnes issues de l’immigration sont en danger». «Ils meurent sous les violences et les coups de cette police», ajoute-t-elle.

https://francais.rt.com/france/83597-rengaine-victimaire-apres-ses-propos-sur-police-assa-traore-attire-critiques-racisme

alors que parmi ces “victimes” se trouvent les nombreux assassins potentiels de Mila et autres admirateurs de l’assassin de Samuel Paty, force est de constater que confinements et couvre-feux nous ont fait découvrir, à nous petits blancs, la violence psychologique, sinon physique, de la répression policière outrancière.

Nous pouvons désormais expérimenter le statut de “minorité suspecte” en se promenant sans masque dans une rue “masquée”, et les djihadistes du masque qui scrutent le degré de recouvrement des nez sont l’équivalent covidien des intégristes contrôlant le voile des musulmanes, et des Woke qui vous allument à la moindre allusion non conforme.

Symptôme d’une société sans idéal.

Les moralistes pensent évidemment détenir le Bien, alors qu’ils ne sont que les idiots utiles de ceux et celles dont ils servent les intérêts. Comme le disait récemment Michel Maffesoli:

Quelques faits divers contemporains, animant le Landernau germanopratin montrent, à loisir que tout comme le disait le vieux Marx, à propos de la bourgeoisie, l’oligarchie « n’a pas de morale, elle se sert de la morale ».

Le moralisme fonctionne toujours selon une logique du « devoir-être », ce que doivent être le monde, la société, l’individu et non selon ce que ces entités sont en réalité, dans leur vie quotidienne. C’est cela même qui fait que dans les « nuées » qui sont les leurs, les élites déphasées ne savent pas, ne veulent pas voir l’aspect archétypal de la finitude humaine. Finitude que les sociétés équilibrées ont su gérer.

https://lecourrierdesstrateges.fr/2021/01/22/maffesoli-une-societe-en-pleine-decadence/?fbclid=IwAR1i3OVHWzOcOMSI8ioTDQWRA1Cm_pQw9r5DRkROZZyF0r8bCjeIpbmJbVA

Le mouvement Woke serait donc un symptôme d’une société sans objet se cherchant un dragon à occire, un équivalent aux religions sectaires et aux nationalismes étroits qui occupent l’espace laissé vacant par la défaite de l’universalisme libéral (2). Un espace qui n’est pas récupérable sans un nouvel idéal universel, et qu’il va donc falloir partager entre communautés n’ayant à peu près rien en commun.

Tom McDonald: “Fake Woke”.

Liens et sources:

(1) https://www.newschool.edu/nssr/faculty/maya-binyam/

(2) https://zerhubarbeblog.net/2019/12/08/neoliberalisme-ou-le-progres-social-en-marche-arriere/

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

40 réponses

  1. Surtout continue à te sentir trop, woke sans “traduire” le Français, Solaire quoi. Toujours mieux d’entretenir vos divisions, mentales pour “pouvoir” gamberger sans là moindre Solution.

  2. “Professeur de philosophie à l’université de l’Etat de Portland, depuis une dizaine d’années, Peter Boghossian a adressé à son doyen une lettre de démission dans laquelle il explique que l’établissement est devenu un lieu où la liberté de pensée n’est plus défendue, quand elle n’est pas même combattue. Il relate l’intolérance, les intimidations, les représailles. La « culture » woke dans toute sa splendeur. Voici la traduction de sa lettre, qui forme un témoignage édifiant et important.”
    https://wokistan.fr/2021/09/11/mon-universite-a-sacrifie-les-idees-pour-lideologie-alors-aujourdhui-je-demissionne/

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