Juin, une météo clémente et brumeuse, conditions idéales pour tenter le passage clandestin entre les rives du Pas-de-Calais et l’Angleterre. Comme chaque jour et chaque nuit, les gendarmes et autres unités de la PAF patrouillent le long des côtes et cherchent à intercepter les départs de zodiacs et autres petits bateaux planqués dans les dunes.
Comme chaque jour, les navires des douanes et gendarmerie maritime ramènent à terre les migrants désemparés, perdus en mer ou lâchés par un matériel pourri volé par les passeurs, ceux auxquels ces migrants paient un droit de passage d’au moins 2 000 euros.
Comme chaque jour, les pompiers prennent en charge les souffrants, et les flics ramènent tout le monde dans des hôtels de la périphérie loués par l’Etat afin d’y “stocker” ces gens. Des Irakiens, des Iraniens, des Syriens, des Afghans, des Africains dont on ne sait trop que faire, qui ne veulent pour la plupart rien d’autre que quitter l’enfer français pour tenter leur chance au Royaume-Uni, là où l’on parle anglais et où, dit-on, tout le monde peut trouver du travail et refaire sa vie sans se faire attaquer tous les matins par les flics.
L’Etat voudrait que les migrants quittent la région mais leur interdit l’Angleterre. Les migrants veulent quitter la région mais pour aller en Angleterre. L’origine de cette situation débile réside dans les accords du Touquet, entrés en vigueur début 2004 et rendant la France (ainsi que la Belgique) responsable du contrôle de la frontière avec le RU en Manche et Mer du Nord (1). Les Britanniques ne veulent pas gérer ce problème sur leur sol, et proposent donc aux Français de les payer pour faire le boulot.
Une opportunité économique.
Cette transformation d’un problème politique et humanitaire en une opportunité économique est la raison majeure, sinon la seule, qui fait que la France continue à appliquer ces accords malgré l’horreur kafkaïenne qu’ils engendrent: l’argent britannique paie pour la majorité des constructions et installations “de sécurité”, des salaires, des équipements et des hébergements des policiers (2).
Un marché lucratif de la honte et de la misère qui se chiffre en centaines de millions d’euros, et fait les affaires de bien des gens. Un marché régulièrement revu à la hausse, comme lors de la dernière mouture des accords signés par Macron en 2020:
La Secrétaire d’État à l’Intérieur britannique, Priti Patel, et son homologue français, Gérald Darmanin, ont annoncé le 28 novembre un nouvel accord entre la France et le Royaume-Uni pour « rendre impossibles les traversées de la Manche ». Il s’inscrit dans la continuité des précédents traités bilatéraux conclus entre les deux pays, les accords du Touquet en 2004 et le traité de Sandhurst en 2018, qui avaient pour objectif de renforcer la présence policière française en échange d’une contribution financière britannique.
Parmi les nouvelles mesures annoncées, Priti Patel a indiqué le doublement, dès le 1er décembre, des forces de l’ordre françaises mobilisées sur le littoral, sans en préciser le nombre précis. Les autorités britanniques se sont engagées à investir 31, 4 millions d’euros pour « soutenir les efforts importants de la France contre les traversées irrégulières », notamment par le déploiement de drones et de radars pour surveiller les tentatives de traversées. Par ailleurs, l’accord prévoit des mesures visant à aider les migrants présents sur le littoral français à accéder à un « logement approprié » afin de les soustraire à l’emprise des passeurs.
Ce nouvel accord intervient après des mois de négociations et de vives tensions entre les deux gouvernements, les autorités britanniques accusant la France de ne pas suffisamment s’impliquer pour empêcher les traversées, en nette augmentation depuis le début de l’année. Selon les chiffres de l’agence de presse britannique Press Association, plus de 8 000 personnes seraient arrivées au Royaume-Uni par la Manche depuis le début de l’année, contre 1 835 en 2019. Une récente étude estime par ailleurs qu’au moins 296 personnes seraient mortes depuis 1999 en tentant cette traversée. Dans l’attente d’un accord, les autorités britanniques avaient proposé en octobre des solutions drastiques pour réduire les arrivées, comme l’installation de filets ou encore de pompes génératrices de vagues pour repousser les embarcations de migrants.
https://www.france-terre-asile.org/accueil/veille-europe-france-terre-d-asile/du-1er-au-15-decembre-2020/manche-un-nouvel-accord-franco-britannique-pour-limiter-les-traversees
La motivation française est donc purement économique. Rien, en effet, ne l’oblige à respecter ces accords et à empêcher les migrants de passer en Angleterre, et d’autant moins depuis le Brexit et la posture complètement auto-centrée du régime de Boris Johnson, un England First! directement copié du America First! de son héro, Donald Trump. Qu’il assume et se débrouille avec “ses” migrants.
Le marché parallèle des passeurs.
Face au marché officiel de la lutte contre les passages clandestins vers l’Angleterre, et nourri par lui, prospère le marché parallèle des passeurs. Ces réseaux, qu’ils soient en Libye, en Turquie ou ici, bénéficient des obstacles à la migration afin de prendre le contrôle de passages contre espèces sonnantes et trébuchantes. Un marché lucratif, un zodiac chargé de dix personnes rapportant au moins 20 000 euros. Largement de quoi acheter du vieux matériel, ou payer les voleurs qui sillonnent les ports de pêche et de plaisance de la région à la recherche de moteurs hors-bord et de bateaux gonflables.
Business is business.
Une situation qui, après avoir transformé le port des ferrys de Calais et son terminal ferroviaire en prison à ciel ouvert, menace de faire de même des installations portuaires de toute la côte. Mais business is business, d’autant plus que l’argent britannique doit corrompre pas mal de monde, tout comme l’argent des passeurs, les deux se nourrissant mutuellement. Seul le courage politique de dire “stop” à cette démence y mettra un terme, mais ce n’est évidemment pas avec un Macron, une Le Pen ou autre crétin concentrationnaire que la situation va évoluer dans le bon sens.
Pour conclure, une remarque de principe: les deux images illustrant cet article furent prises malgré l’interdiction des douaniers de photographier la scène. Une interdiction infondée vu que la situation se passe dans l’espace public, et que la justification donnée par les douaniers, “risque d’un usage inapproprié de ces images de la misère”, si elle peut bien sûr être avancée en cas d’usage effectivement inapproprié, ne peut en aucun cas servir d’interdiction a priori. Et je n’ai pas photographié le policier se promenant devant le bateau avec un lanceur de LBD, accoutrement ridicule digne des prétentions de dictature policière de Darmanin et ses potes. Potes dont beaucoup touchent de jolies primes grâce au marché de la lutte contre les migrants, cela va sans dire. Business is business.
[…] (3) https://zerhubarbeblog.net/2021/06/12/kafka-et-les-migrants-du-detroit-du-pas-de-calais/ […]
En quelques jours, des centaines de migrants ont été secourus sur les côtes européennes. Pendant ce temps, des étrangers sont expulsés à Calais. La situation s’aggravera encore si nous ne construisons pas des solutions humaines et sûres pour ceux qui sont accueillis comme pour ceux qui accueillent. Et elles existent : ce sont les couloirs humanitaires, les couloirs de la vie.
https://www.ouest-france.fr/reflexion/editorial/editorial-en-finir-avec-les-barques-de-la-mort-265adfa2-e197-11eb-82d5-63f3cea6b74b
https://www.lasemainedansleboulonnais.fr/124485/article/2021-09-08/boulogne-sur-mer-cinquante-deux-naufrages-debarques-au-port-ce-mardi
A Calais, une grève de la faim en soutien aux migrants
Les grévistes dénoncent les conditions de survie déplorables sur place et le dialogue de sourds entre Etat et acteurs associatifs.
https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/10/12/a-calais-une-greve-de-la-faim-en-soutien-aux-migrants_6098024_3224.html?utm_source=dlvr.it&utm_medium=twitter
Suite au drame de la mort de Yasser, jeune soudanais, la semaine dernière, face à la constante dégradation des conditions de vie des personnes exilées à Calais, alors que le harcèlement dont elles font l’objet est quotidien et que la violence exercée par l’Etat est toujours plus forte : Philippe, Anaïs et Ludovic ont entamé une grève de la faim depuis le lundi 11 octobre à l’église Saint-Pierre de Calais.
Depuis plusieurs années, des associatifs, des militants et des personnes exilées alertent sur la situation inhumaine qui s’inscrit dans le Calaisis. Nous assistons quotidiennement à des formes de violences psychologiques et physiques à l’encontre des personnes exilées : expulsions toutes les 48h voire quotidiennes ; confiscation et destruction des effets personnels ; multiplication des arrêtés anti-distribution de nourriture et d’eau ; humiliations ; coups et blessures de la part des forces de l’ordre…
https://www.change.org/p/emmanuelmacron-gr%C3%A8ve-de-la-faim-%C3%A0-calais-arr%C3%AAt-de-la-maltraitance-des-personnes-exil%C3%A9es-faimauxfrontieres
Ce jeudi 4 novembre, à l’aube, le corps d’un migrant a été retrouvé sur la plage de Wissant. Une partie de la digue a été fermée au public.
https://www.nordlittoral.fr/129002/article/2021-11-04/wissant-le-corps-d-un-migrant-retrouve-sur-la-plage?fbclid=IwAR1qPzrSApwq-89Ko5BdKlWIdfXxDg1L8ltuINbFPHXLdW_odxJr3RudIV8
[…] (5) https://zerhubarbeblog.net/2021/06/12/kafka-et-les-migrants-du-detroit-du-pas-de-calais/ […]