Bienvenue en Union Eurosoviétique!

Sortie de son strict sens historique des débuts de l’URSS, où la soviétisation décrivait l’imposition d’une pensée “communiste” par la propagande et la violence d’Etat en opposition avec l’impérialisme capitaliste bourgeois de l’Europe et des USA, la soviétisation a également un sens générique relatif à l’endoctrinement via l’obéissance au Parti, la menace extérieure, la punition de toute dissidence, la censure, et l’isolement culturel.

Il n’est pas impossible que la Russie vive aujourd’hui une période de re-soviétisation soutenue par son grand voisin et allié déjà fortement soviétisé, la Chine, et nourrie par une méfiance (en bonne partie justifiée d’ailleurs) face à l’Occident et, surtout, face à une puissance américaine déclinante aux mains de dangereux débiles.

Reste que, n’étant ni Russe ni Chinois, c’est surtout la soviétisation de l’Europe qui m’inquiète. Une Europe malade de son déficit démocratique, de sa corruption, de sa couardise et de son appétit pour les postures et les émotions chics et pas chères tenant lieu d’analyse, voire de politique.

Comme l’écrivait tout récemment l’auteur et journaliste Serbo-Suisse Slobodan Despot, dans un article sur la situation en Ukraine et la réaction ici en Occident:

Un aspect particulièrement obnubilant du délire occidental consiste justement à tout passer par le filtre du jugement moral avant même d’essayer de comprendre. Ce rituel de sermonnage donne le champ libre au lavage de cerveaux et à l’unanimité de meute. Comprendre aujourd’hui la Russie équivaut à approuver, et vice versa: la condamnation est un préalable à toute analyse en place publique. La censure est totale. Nous vivons dans un théâtre d’apparences où personne ne livre jamais le fond de sa pensée ni ne va jusqu’au bout de ses actes. On y compense l’inaction par la guerre des mots et la confrontation malcommode avec les faits par le réconfort de l’idéologie.

Slobodan Despot – Le sommeil de la raison engendre des monstres- Antipresse n° 327 du 6 mars 2022.

Cette question du rapport au réel fut récemment abordée, ici, dans l’article sur la société de spectacle (1), sous une forme de diagnostic reliant la “gestion” du Covid et celle de la crise ukrainienne. Dans les deux cas, le régime assisté de ses médias collaborationnistes (dits MSM pour “mainstream medias” en jargon complotiste) transforme une situation complexe en une soupe émotive avec un camp du “bien” (les obéissants) face à un camp du “mal” devenant bouc émissaire car tenu responsable des maux du premier, ce en lieu et place des vrais responsables (virus, Otan, marchés…) dont les motifs, les caractéristiques et les intérêts disparaissent des pseudo-analyses des pseudo-journalistes au profit de la propagande moraliste pure et dure.

La base: la propagande.

La propagande est le socle sur lequel repose le reste, et ses méthodes sont connues de tous depuis longtemps. La méthode moderne de la propagande de guerre date sans doute de Goebbels avec la propagande nazie, suivie de près par la propagande stalinienne et maoïste. Elle est passée par la propagande US face à l’Afghanistan et à l’Irak, et plus généralement la propagande occidentale au Kosovo, en Libye et en Syrie afin de justifier d’actes de guerre face à des ennemis très nettement inférieurs en termes militaires.

On a retrouvé une nouvelle forme de propagande face au Covid, avec une mise en scène guerrière justifiant des états d’exception et la mise en œuvre de toutes sortes de mesures débilo-hystériques (2), le tout débouchant sur une propagande commerciale massive au profit d’une vaccination de masse totalement absurde et dangereuse, mais oh combien rentable (3).

Et nous voici rendu à la propagande du moment, celle qui, du côté occidental, tente de faire oublier le contexte et les complexités de la situation sous un tsunami de bons sentiments permettant de donner bonne conscience aux uns, et de semer la peur (guerre nucléaire, etc…) au cœur des autres.

Cette peur, d’où qu’elle vienne (menaces de guerre, violence d’Etat, problèmes économiques, environnement), et surtout si elle est associée à une angoisse sous-jacente partagée par une bonne partie de la société (insécurité, perte de sens), engendre une forme d’hypnose de masse et ouvre la porte à tous les abus de pouvoir, comme on l’a si bien constaté dans le cadre covidien (4).

Ce vaste et permanent écran de fumée établi et piloté par la communication politique (via par exemple les conseillers en nudging genre McKinsey) est relayé par les MSM. Sa mise en place ne prend que quelques heures du fait de l’immédiateté de la com moderne via médias en ligne et réseaux sociaux.

Le coup d’Etat institutionnel.

C’est par un coup d’Etat institutionnel que la Commission européenne est devenue, sans l’ombre d’un débat ni d’un avis des populations, acteur central de la politique publique. C’est la Commission qui achète, via des contrats douteux (5), des stocks gigantesques de vaccins, qui décide d’instruments de ségrégation type passeport vert européen, et qui aujourd’hui décide de la fourniture de matériels militaires à l’Ukraine (6).

C’est la Commission qui décide de la censure des médias russes (RT, Sputnik) afin de priver les européens d’une analyse moins univoque que les seuls MSM autorisés (RT faisant en fait partie des MSM, les émissions de RT France n’étant ni plus ni moins biaisées que celles de France24, DW ou CNN). L’énormité de cette censure purement politique ne semble pas toucher grand monde, sa justification relevant elle-même de la pure propagande:

Pour la Commission et les 27, RT et Sputnik sont des médias qui, « placés sous le contrôle permanent des dirigeants » russes, mènent des « actions de propagande » et de « déformation » des faits, justifient-ils dans le Journal officiel de l’Union européenne. Ces organes « menacent directement et gravement l’ordre et la sécurité publics de l’Union », ajoute Bruxelles dans un communiqué.

https://www.20minutes.fr/monde/3245783-20220304-guerre-ukraine-interdiction-rt-france-aucune-base-juridique-legale-fait-point

Dans la même veine, la Commission s’autorise l’arrêt de la coopération scientifique avec la Russie:

Suite à l’invasion russe contre l’Ukraine et en solidarité avec le peuple ukrainien, la Commission a décidé de suspendre la coopération avec les entités russes dans le domaine de la recherche, de la science et de l’innovation.

https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_22_1544

Cette transformation d’un organe technocratique de proposition et de mise en œuvre de ce qui était censé relever de la volonté des peuples, en un EuroSoviet Suprême (7) sous drapeau bleu étoilé, marque un tournant majeur dans la transformation de l’Europe vers un techno-totalitarisme tout à fait comparable, à terme, au modèle chinois avec sa surveillance policière et politique omniprésente, son Parti unique, et son système de crédit social dont le pass vaccinal n’est que l’embryon.

La nouvelle censure Eurosoviétique.

La censure, et l’isolation culturelle qui l’accompagne, sont deux autres facettes de la soviétisation: n’entendre qu’un son de cloche, celui du pouvoir, facilite évidemment l’acceptation des mesures les plus absurdes. En ce sens la censure des médias russes à travers l’Europe, sans débat, est du même acabit que la censure chinoise ou nord-coréenne: n’avoir qu’un point de vue, celui du régime.

Une censure qui n’est pas encore totale du fait de l’existence d’un réservoir important de sources de contre-information, mais la mécanique est “en marche”, que ce soit via la fermeture pure et simple de chaines et de comptes, ou via la délégitimation par fact checkers et autres chiens de garde interposés.

Un exemple parlant de cette volonté de pensée unique sous moraline injectée en intraveineuse, la journaliste Anne-Laure Bonnel suite à son documentaire “Donbass”. Ce reportage, sur la situation des civils dans le Donbass depuis 2014 et le vrai début de la guerre actuelle, irrite. YouTube lui fait la chasse, et il faut désormais aller sur le réseau “anti-censure” Odysee pour le trouver (8). La journaliste décrit ainsi sa mise au ban par certains MSM français (9), mais la guerre de l’information n’est pas perdue car le Figaro vient de publier un article par cette même personne:

Partout autour de nous, dans cette zone dont les habitants qui n’ont pas fui en Russie sont considérés depuis huit ans par le gouvernement de Kiev comme des «terroristes», les tirs d’artillerie lourde se succèdent. À Gorlovka, comme en 2015, lors du début de la guerre du Donbass, la population est recluse dans les caves, tentant d’échapper aux bombardements. La ville de 200.000 habitants, berceau des séparatistes prorusses, offre un spectacle de désolation: des tas de ruines, des maisons aux flancs éventrés, des immeubles aux vitres brisées, transpercés par les obus. Non loin, les champs de Nikolaïevka sont infestés de mines.

https://www.lefigaro.fr/international/ukraine-dans-le-donbass-la-ou-tout-a-commence-20220304

La polarisation idéologique comme frein à l’information et à l’analyse est bien décrite par Teresita Dussart, ancienne journaliste basée à Moscou pour une radio française:

Il est clair que la contre-propagande est autant à prendre avec des pincettes que la propagande, et que la vérité n’existe pas (et encore moins en temps de guerre). Reste que si on cherche à comprendre et à trouver des solutions rationnelles, il faut se frotter à différents points de vue, y compris celui de l’ennemi désigné. Exemple avec cette analyse de Xavier Moreau de Stratpol, ou la guerre analysée du point de vue d’un Français installé à Moscou:

Le bal des sanctions.

L’URSS justifiait les pénuries qui frappaient les soviétiques au nom de la lutte contre l’impérialisme occidental. L’Europe justifie aujourd’hui les pénuries et le coût pharaonique des matières premières venant de Russie (gaz, pétrole, blé…) au nom de la lutte contre l’impérialisme russe.

Comme tout régime à visée totalitaire, la Commission européenne (et derrière elle l’ensemble des régimes européens autoritaires) sait que tout ceci nécessite de nourrir une anxiété permanente au sein de la population.

Après le Covid, le risque de débordement de la guerre via des attaques russes contre les centrales nucléaires et l’arrivée de nuages radioactifs, ou la menace nucléaire directe (surtout brandie par Macron), sont savamment entretenus et leur effet multiplié par les sanctions imposées à la Russie.

Des sanctions qui seront surtout ressenties par les Européens, mais utilisées par l’EuroSoviet Suprême comme prix à payer pour garantir la sécurité européenne.

Ceci relève t’il de la pure incompétence, d’un délire nihiliste, ou d’un opportunisme typique de la “stratégie du choc”? Sans doute des trois à des niveaux différents, les structures technocratiques étant généralement des formes de kakistocratie où le chef s’entoure de gens incompétents, de porte-flingues qui lui resteront toujours redevables de l’autorité et des privilèges dont ils bénéficient.

En France c’est visible jusqu’à la caricature avec Nono la Grenade comme ministre de l’économie, et toute la bande de bras cassés avec Jeannot la Casse, Véran le Fou, Gaby la Branlette et Gégé la Gêne, mais les mêmes existent au cœur de l’EuroSoviet.

Pour une place dans l’Histoire.

A l’échelon supérieur, celui des représentants des vrais pouvoirs que sont notamment Emmanuel Macron, Olaf Scholz et Ursula von der Leyen, l’inscription dans les livres d’Histoire est sans doute au moins aussi importante que le pouvoir et l’enrichissement personnel.

Face à la catastrophe covidienne qui pourrait sérieusement les éclabousser le jour où l’on fera un vrai bilan de cette affaire (10), la guerre en Ukraine peut leur servir de marchepied pour une dynamique de transformation assez radicale de l’Europe: d’un simple marché ouvert à tous vents chapeauté par une technocratie cherchant constamment à justifier son existence, le retour à une muraille de fer entre l’Est et l’Ouest peut alimenter un projet de retour à une forme de souveraineté et d’indépendance face au bloc sino-russe (11), voire d’émancipation face à l’encombrant grand frère américain et à l’Otan.

Une crise économique majeure, fruit notamment de l’effet boomerang des sanctions envers la Russie, mais aussi des conséquences du “quoi qu’il en coute” covidien posant un risque inflationniste grave, servirait les intérêts de l’EuroSoviet “obligée” de prendre certaines mesures draconiennes évidemment liberticides.

Une telle transformation sur fond de manipulation ne passerait pas de manière démocratique, au sens d’un choix informé de la population. Il faut donc d’une part désinformer afin que l’idée de “choix” disparaisse, d’où la nécessité de la censure et de la propagande, et d’autre part renforcer l’image de l’EuroSoviet comme rempart à l’impérialisme sino-russe. Un rempart qui justifiera amplement toutes les mesures liberticides et violentes “nécessaires à la sécurité de tous”, et dont le Covid donne un avant-goût déjà prononcé.

Un côté déjà-vu, empire.

Pour les gens de ma génération ayant connu le Mur, la guerre froide face à l’empire soviétique, la menace nucléaire permanente, voire ayant passé quelques mois comme bidasse à ramper le long de la frontière avec l’ex-Allemagne de l’Est dans l’attente de l’invasion de l’Armée Rouge, ce scénario est d’autant plus catastrophique qu’il relève essentiellement de la bêtise et du désir de puissance de politiciens et de technocrates crapuleux.

Pour l’Etat profond américain avec son gigantesque complexe militaro-industriel et ses services secrets tout-puissants, pour l’Otan dont l’existence n’a de sens qu’à travers l’existence d’un ennemi, pour l’Union européenne et ses institutions technocratiques corrompues cherchant à légitimer sa propre existence par tous les moyens, la re-création de la Russie en tant qu’ennemi ontologique d’un “occident libre” coche toutes les cases.

Ceci ne veut pas dire que Poutine est sympa, que la Russie est un paradis méconnu et que la guerre en Ukraine est juste et légitime, mais si nos représentants voulaient un monde apaisé et coopératif entre eux et nous, chose qui était offerte sur un plateau après la chute du Mur, cela se saurait.

Cela n’est pas le cas, et il faut toujours commencer par se demander à qui profite le crime. Or il profite clairement aux promoteurs d’un EuroSoviet inscrit dans la logique du fameux Grand Reset de l’ami Schwab:

Le reste, c’est l’idée – développée dans The Great Reset – de modifications profondes dans nos modes de gestion de l’économie, des relations internationales, et des relations sociales et humaines. Modifications au sein desquelles les gouvernements seraient amenés à prendre un contrôle bien plus fort sur l’économie afin de réduire les inégalités, afin de réduire la dépendance à de longues « chaines de valeur » dont la plupart passent par la Chine, afin de garantir une sécurité économique et sanitaire à l’ensemble de la population.

Cette proposition, relevant d’un socialisme régionaliste parfaitement défendable en soi, se base sur l’idée d’une gouvernance bienveillante, honnête et soucieuse de l’intérêt général. Et c’est là où ça coince car, si la crise covidienne a bien montré une chose, c’est l’ampleur de la corruption, de l’ineptie, de l’incompétence, de la psychopathie et de l’opportunisme dictatorial de ces élites gouvernantes et technocratiques.

https://zerhubarbeblog.net/2020/12/04/de-quoi-the-great-reset-est-il-le-nom/

La liberté a un prix, celui de l’émancipation face à l’autorité et à la fausse sécurité qu’elle prétend apporter. Terminons sur ce beau plaidoyer par François Sureau lors de sa récente intronisation à l’Académie Française, face à Brigitte Macron et au gotha de la bien-pensance:

Liens et sources:

(1) https://zerhubarbeblog.net/2022/03/02/du-covid-a-lukraine-bienvenue-dans-la-societe-du-spectacle/

(2) https://zerhubarbeblog.net/2021/05/09/vivre-sous-un-regime-debilo-hysterique/

(3) https://zerhubarbeblog.net/2022/02/24/vaccins-arnm-pfizer-et-moderna-le-crime-du-siecle/

(4) https://zerhubarbeblog.net/2022/01/06/du-covid-a-la-formation-psychotique-des-masses/

(5) https://zerhubarbeblog.net/2021/12/29/vaccination-covid-le-grand-marche-de-la-corruption/

(6) https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/historique-la-commission-europeenne-va-acheter-des-armes-puis-les-livrer-a-l-ukraine-904986.html

(7) https://fr.wikipedia.org/wiki/Soviet_supr%C3%AAme_de_l%27Union_sovi%C3%A9tique

(8) https://odysee.com/@labibliothequealternative:4/DONBASS:3b

(9) https://fb.watch/bBCXn_0LQ0/

(10) https://zerhubarbeblog.net/2021/12/26/debunker-le-narratif-covidien/

(11) https://zerhubarbeblog.net/2022/02/07/4-fevrier-2022-premier-jour-de-lere-de-la-domination-sino-russe/

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

17 réponses

  1. Saint-Cyrien vivant à Moscou et naturalisé russe, Xavier Moreau revient sur l’origine de l’Ukraine, qui veut dire « périphérie », avant de proposer son analyse. Il évoque ainsi l’asymétrie d’information qui existe entre la France et l’Ukraine d’un côté, qui proposent un récit paraissant unifié autour de l’État-nation ukrainien, et de l’autre le récit russe qui essaie de venir régler un problème historique en Ukraine.
    https://www.francesoir.fr/videos-les-debriefings/xavier-moreau

  2. Rapports de guerre en Ukraine. Voici deux vidéos, en français, relatant le conflit de deux points de vue opposés.

    La vidéo de Xavier Tytelman (ci-dessous) décrit une catastrophe militaire pour les Russes face à une résistance ukrainienne nettement plus efficace que prévue.
    https://youtu.be/BpCzqX5B1SA

    La seconde vidéo (ci-dessous) est celle de Xavier Moreau, de Stratpol, basé à Moscou et qui défend une ligne favorable au Russes.
    https://youtu.be/6g4nnKDY7A4

  3. Marc Ruggeri : « La propagande européenne m’est aussi insupportable que la propagande russe. Je vous invite à lire cet entretien avec Andreï Makine. »

    FIGAROVOX/ENTRETIEN – L’académicien franco-russe, prix Goncourt 1995, s’afflige de voir l’Ukraine transformée en «chaudron guerrier». Il se défend d’être pro-Kremlin et regrette une vision «manichéenne» du conflit «qui empêche tout débat».

    Andreï Makine, né en Sibérie, a publié une douzaine de romans traduits dans plus de quarante langues, parmi lesquels Le Testament français (prix Goncourt et prix Médicis 1995), La Musique d’une vie (éd. Seuil, 2001), et, plus récemment, Une femme aimée (Seuil). Il a été élu à l’Académie française en 2016.

    ****************

    FIGAROVOX. – En tant qu’écrivain d’origine russe, que vous inspire cette guerre ?

    Andreï MAKINE. – Pour moi, elle était impensable. J’ai en tête les visages de mes amis ukrainiens à Moscou, que je voyais avant tout comme des amis, pas comme des Ukrainiens. Le visage de leurs enfants et de leurs petits-enfants, qui sont dans ce chaudron guerrier. Je plains les Ukrainiens qui meurent sous les bombes, tout comme les jeunes soldats russes engagés dans cette guerre fratricide. Le sort du peuple qui souffre m’importe davantage que celui des élites. Comme le disait Paul Valéry, «la guerre, ce sont des hommes qui ne se connaissant pas et qui se massacrent au profit d’hommes qui se connaissent et ne se massacrent pas»

    – Une partie de la presse vous qualifie d’écrivain pro-Poutine. L’êtes-vous

    C’est une journaliste de l’AFP qui m’a collé cette étiquette il y a une vingtaine d’années. C’était juste après le départ de Boris Eltsine dont le bilan était catastrophique pour la Russie. Je lui avais expliqué que Eltsine, dans un état d’ébriété permanent, avec la responsabilité du bouton atomique, représentait un vrai danger. Et que j’espérais que la Russie pourrait devenir un peu plus rationnelle et pragmatique à l’avenir. Mais elle a titré : «Makine défend le pragmatisme de Poutine». Comme c’était une dépêche de l’AFP, cela a été repris partout. Et lorsque je suis entré à l’Académie, un grand hebdo, dont par charité je tairai le nom, a, à son tour, titré : «Makine, un Poutinien à l’Académie»… Cela en dit long sur le monde de mensonge dans lequel nous vivons.

    – Vous condamnez l’intervention russe…

    Mon opposition à cette guerre, à toutes les guerres, ne doit pas devenir une sorte de mantra, un certificat de civisme pour les intellectuels en mal de publicité, qui tous cherchent l’onction de la doxa moralisatrice. À force de répéter des évidences, on ne propose absolument rien et on en reste à une vision manichéenne qui empêche tout débat et toute compréhension de cette tragédie. On peut dénoncer la décision de Vladimir Poutine, cracher sur la Russie, mais cela ne résoudra rien, n’aidera pas les Ukrainiens.

    Pour pouvoir arrêter cette guerre, il faut comprendre les antécédents qui l’ont rendue possible. La guerre dans le Donbass dure depuis huit ans et a fait 13 000 morts, et autant de blessés, y compris des enfants. Je regrette le silence politique et médiatique qui l’entoure, l’indifférence à l’égard des morts dès lors qu’ils sont russophones. Dire cela, ne signifie pas justifier la politique de Vladimir Poutine. De même que s’interroger sur le rôle belliciste des États-Unis, présents à tous les étages de la gouvernance ukrainienne avant et pendant la «révolution du Maïdan», n’équivaut pas à dédouaner le maître du Kremlin. Enfin, il faut garder à l’esprit le précédent constitué par le bombardement de Belgrade et la destruction de la Serbie par l’Otan en 1999 sans avoir obtenu l’approbation du Conseil de sécurité des Nations unies. Pour la Russie, cela a été vécu comme une humiliation et un exemple à retenir. La guerre du Kosovo a marqué la mémoire nationale russe et ses dirigeants.

    Lorsque Vladimir Poutine affirme que la Russie est menacée, ce n’est pas un «prétexte» : à tort ou à raison, les Russes se sentent réellement assiégés, et cela découle de cette histoire, ainsi que des interventions militaires en Afghanistan, en Irak et en Libye. Une conversation rapportée entre Poutine et le président du Kazakhstan résume tout. Ce dernier tente de convaincre Poutine que l’installation de bases américaines sur son territoire ne représenterait pas une menace pour la Russie, qui pourrait s’entendre avec les États-Unis. Avec un petit sourire triste, Poutine répond : «C’est exactement ce que disait Saddam Hussein !».

    Encore une fois, je ne légitime en aucune manière la guerre, mais l’important n’est pas ce que je pense, ni ce que nous pensons. En Europe, nous sommes tous contre cette guerre. Mais il faut comprendre ce que pense Poutine, et surtout ce que pensent les Russes, ou du moins une grande partie d’entre eux.

    – Vous présentez la guerre de Poutine comme une conséquence de la politique occidentale. Mais le président russe ne nourrit-il pas une revanche contre l’Occident depuis toujours ?

    J’ai vu Vladimir Poutine en 2001, peu après sa première élection. C’était un autre homme avec une voix presque timide. Il cherchait la compréhension des pays démocratiques. Je ne crois pas du tout qu’il ait eu déjà en tête un projet impérialiste, comme on le prétend aujourd’hui. Je le vois davantage comme un réactif que comme un idéologue. À cette époque-là, le but du gouvernement russe était de s’arrimer au monde occidental. Il est idiot de croire que les Russes ont une nostalgie démesurée du goulag et du Politburo. Ils ont peut-être la nostalgie de la sécurité économique, de l’absence de chômage. De l’entente entre les peuples aussi : à l’université de Moscou, personne ne faisait la différence entre les étudiants russes, ukrainiens et ceux des autres républiques soviétiques… Il y a eu une lune de miel entre la Russie et l’Europe, entre Poutine et l’Europe avant que le président russe ne prenne la posture de l’amant trahi. En 2001, Poutine est le premier chef d’État à proposer son aide à George W. Bush après les attentats du 11 septembre. Via ses bases en Asie centrale, la Russie facilite alors les opérations américaines dans cette région. Mais, en 2002, les États-Unis sortent du traité ABM, qui limitait l’installation de boucliers antimissiles. La Russie proteste contre cette décision qui ne peut, d’après elle, que relancer la course aux armements. En 2003, les Américains annoncent une réorganisation de leurs forces, en direction de l’Est européen

    Poutine s’est durci à partir de 2004 lorsque les pays anciennement socialistes ont intégré l’Otan avant même d’intégrer l’Union européenne, comme s’il fallait devenir anti-russe pour être Européen. Il a compris que l’Europe était vassalisée par les États-Unis. Puis il y a eu un véritable tournant en 2007 lorsqu’il a prononcé un discours à Munich en accusant les Américains de conserver les structures de l’Otan qui n’avaient plus lieu d’être et de vouloir un monde unipolaire. Or, en 2021, lorsqu’il arrive au pouvoir, Joe Biden ne dit pas autre chose lorsqu’il déclare que «l’Amérique va de nouveau régir le monde».

    – On a le sentiment que vous renvoyez dos à dos les Occidentaux et les Russes. Dans cette guerre, c’est bien la Russie l’agresseur…

    Je ne les renvoie pas dos à dos. Mais je regrette que l’on oppose une propagande européenne à une propagande russe. C’est, au contraire, le moment pour l’Europe de montrer sa différence, d’imposer un journalisme pluraliste qui ouvre le débat. Lorsque j’étais enfant dans la Russie soviétique et qu’il n’y avait que la Pravda, je rêvais de la France pour la liberté d’expression, la liberté de la presse, la possibilité de lire différentes opinions dans différents journaux. La guerre porte un coup terrible à la liberté d’expression : en Russie, ce qui n’est guère surprenant, mais aussi en Occident. On dit que «la première victime de la guerre est toujours la vérité». C’est juste, mais j’aurais aimé que ce ne soit pas le cas en Europe, en France.

    – Comment peut-on prétendre défendre la démocratie en censurant des chaînes de télévision, des artistes, des livres ?

    De mon point de vue, la fermeture de la chaîne RT France par Ursula von der Leyen, présidente non élue de la Commission européenne, est une erreur qui sera fatalement perçue par l’opinion comme une censure. Comment ne pas être révolté par la déprogrammation du Bolchoï de l’Opéra Royal de Londres, l’annulation d’un cours consacré à Dostoïevski à Milan ? Comment peut-on prétendre défendre la démocratie en censurant des chaînes de télévision, des artistes, des livres ? C’est le meilleur moyen, pour les Européens, de nourrir le nationalisme russe, d’obtenir le résultat inverse de celui escompté. Il faudrait au contraire s’ouvrir à la Russie, notamment par le biais des Russes qui vivent en Europe et qui sont de manière évidente pro-européens. Comme le disait justement Dostoïevski : «chaque pierre dans cette Europe nous est chère».

    – La propagande russe paraît tout de même délirante lorsque Poutine parle de «dénazification”

    Le bataillon Azov, qui a repris la ville de Marioupol aux séparatistes en 2014, et qui depuis a été incorporé à l’armée régulière, revendique son idéologie néo-nazie et porte des casques et des insignes ayant pour emblème le symbole SS et la croix gammée. Il est évident que cette présence reste marginale et que l’État ukrainien n’est pas nazi, et ne voue pas un culte inconditionnel à Stepan Bandera. Mais des journalistes occidentaux auraient dû enquêter sérieusement sur cette influence et l’Europe condamner la présence d’emblèmes nazis sur son territoire. Il faut comprendre que cela ravive chez les Russes le souvenir de la Seconde guerre mondiale et des commandos ukrainiens ralliés à Hitler, et que cela donne du crédit, à leurs yeux, à la propagande du Kremlin.

    – Au-delà du débat sur les causes et les responsabilités de chacun dans la guerre, que pensez-vous de la réponse européenne ?

    Bruno Le Maire a été critiqué pour avoir parlé de guerre totale, mais il a eu le mérite de dire la vérité et d’annoncer la couleur, loin de l’hypocrisie de ceux qui envoient des armes et des mercenaires et entendent ruiner l’économie russe, mais prétendent qu’ils ne font pas la guerre. En vérité, il s’agit bien de provoquer l’effondrement de la Russie, l’appauvrissement de son peuple. Il faut le dire clairement : l’Occident est en guerre contre la Russie.

    Cependant, s’il y a un aspect positif pour la possible démocratisation de la Russie, c’est que l’on va anéantir la construction oligarchique qui est une vraie tumeur depuis les années 90. J’invite les dirigeants européens à exproprier les oligarques prédateurs, à confisquer ces milliards de roubles volés et investis à Londres et, plutôt que de les bloquer comme on le fait aujourd’hui, à les donner aux pauvres en Europe et en Russie.

    – Que peut-on faire d’autre ?

    Pour cesser les hostilités, pour donner un avenir à l’Ukraine, on pense toujours qu’il faut avancer ; parfois il faut, au contraire, reculer. Il faut dire : «on s’est trompé». En 1992, après la chute du mur de Berlin, nous nous trouvions à une bifurcation. Nous nous sommes trompés de chemin. Je pensais alors véritablement qu’il n’y aurait plus de blocs, que l’Otan allait être dissoute car l’Amérique n’avait plus d’ennemi, que nous allions former un grand continent pacifique. Mais je pressentais aussi que cela allait exploser car il y avait déjà des tensions : dans le Caucase, en Arménie dans le Haut-Karabakh… À l’époque, j’avais écrit une lettre à François Mitterrand.

    – Quel était le contenu de cette lettre ?

    J’ignore s’il l’a reçue, mais j’évoquais la construction d’une Europe qui n’avait rien à voir avec le monstre bureaucratique représenté aujourd’hui par Madame von der Leyen. Je rêvais d’une Europe respectueuse des identités, à l’image de la Mitteleuropa de Zweig et de Rilke. Une Europe finalement plus puissante car plus souple, à laquelle on aurait pu adjoindre l’Ukraine, les Pays Baltes et pourquoi pas la Biélorussie. Mais une Europe sans armes, sans blocs militaires, une Europe composée de sanctuaires de la paix. Les deux garants de cette architecture auraient été la France et la Russie, deux puissances nucléaires situées aux deux extrémités de l’Europe, chargées légalement par l’ONU de protéger cet ensemble.

    – Est-ce réaliste ?

    La Mitteleuropa n’est pas une utopie, elle a existé. Je veux y croire et marteler cette idée. Il y a quelques années, j’ai rencontré Jacques Chirac puis Dominique de Villepin, qui partageaient cette vision d’une Europe de Paris à Saint-Pétersbourg. Mais les Américains en ont décidé autrement. Cela aurait signifié la fin de l’Otan, la fin de la militarisation de l’Europe qui, appuyée sur la Russie et ses richesses, serait devenue trop puissante et indépendante. J’espère tout de même qu’un nouveau président s’emparera de cette idée. L’Europe est un Titanic qui sombre et d’un pont à l’autre, on se bat.

    Cette situation est tellement tragique, tellement chaotique, qu’il faudrait proposer une solution radicale, c’est-à-dire revenir à la bifurcation de 1992 et reconnaître qu’il ne fallait pas relancer la course aux armements, reprendre cette direction démocratique et pacifique qui pouvait très bien inclure la Russie. Cela damnerait le pion aux tendances extrêmes en Russie. Cela éviterait l’effondrement politique et économique qui concerne toute la planète. Ce serait une issue honorable pour tout le monde et cela permettrait de construire une Europe de la paix, des intellectuels, de la culture. Notre continent est un trésor vivant, il faut le protéger. Hélas, on préfère prendre le contre-pied de cette proposition : bannir Dostoïevski et faire la guerre. C’est la destruction garantie car il n’y aura pas de vainqueur.

  4. A l’attention de tous les idiots utiles de la désinformation, de tous les ségrégationnistes et autres amoureux du flicage perpétuel.

    “Je suis né en dictature. J’ai vécu en dictature jusqu’à l’âge de vingt-six ans. Je sais ce que c’est. Je sais comment ça s’installe…” Contraint à l’exil de Roumanie en 1977, le journaliste et écrivain Radu Portocala s’exclame : “Les temps derniers, ce que j’ai vécu se retrouve de plus en plus dans ce que nous vivons. Autrement, mais pareil. ​Pour toutes ces raisons, désormais, j’ai peur.”
    https://www.francesoir.fr/videos-lentretien-essentiel/radu-portocala

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