Document assez rare: une longue interview en anglais avec Sergueï Lavrov, ministre des affaires étrangères de la Russie, sur une chaîne relativement neutre dans le contexte russo-ukrainien, la chaîne Al Arabya financée par l’Arabie saoudite. Laquelle tient, en l’occurrence, une ligne médiane entre l’Otan / USA et la Russie, ayant des intérêts de chaque côté.
L’interview date du 29 avril, soit quelques jours après la visite du secrétaire général de l’ONU à Moscou (1). Elle est suffisamment longue pour couvrir la majorité des sujets, en laissant le temps à Lavrov de développer ses réponses plutôt que les habituelles “soundbites”. Et pour une fois sans passer par un traducteur russe, donc beaucoup plus “vrai” vu que Lavrov parle un très bon anglais, malgré un accent assez marqué.
Brève synthèse.
Lavrov refait l’histoire de la région depuis 2009 et sa première proposition pour un accord de sécurité global avec l’Otan, qui fut rejetée. Il redonne la vision russe du coup d’Etat de 2014, la politique anti-russe ukrainienne et la volonté des peuples du Donbass de s’émanciper de Kiev, les 14 000 tués, et l’intention affichée de l’Otan de s’installer sur la frontière russo-ukrainienne (2).
Il réitère la position russe sur le pourquoi de cette guerre, ou “opération militaire spéciale”: protéger les habitants du Donbass des agressions ukrainiennes, et garantir la sécurité de la Russie en empêchant l’armée ukrainienne, sous contrôle de l’Otan, d’être en capacité de menacer sa frontière.
Le passage le plus potentiellement polémique de l’entretien concerne les labos de recherche biologique ukrainiens, mais en réalité américains, récupérés par les Russes, qui accusent clairement les USA de développement illégal d’armes biologiques (3).
Lavrov parle ensuite de la capacité de la Russie à s’accommoder des sanctions occidentales, ce d’autant que l’URSS puis la Russie ont toujours été victimes de sanctions. Il revient sur l’obligation de payer le gaz en rouble, qui découle directement du vol, par les Occidentaux, des 300 milliards de dollars de la Russie “confisqués” au sein des banques occidentales. Passer au rouble est alors la seule manière pour la Russie de se garantir un paiement.
Il insiste sur le fait que la Russie n’a aucune intention de déclarer une guerre nucléaire, et que tout ce débat hystérique occidental vient des déclarations de Zelensky “regrettant” de n’être pas resté une puissance nucléaire à l’époque du démantèlement de l’URSS. La Russie, évidemment, répondrait à une attaque nucléaire.
Il aborde ensuite le sujet des relations internationales, la possibilité de la disparition des Nations Unies du fait, essentiellement, de l’hypocrise et du chantage permanent des Américains, qui font constamment l’inverse de ce qu’ils prêchent. Une scission du monde en deux, ou plusieurs blocs avec un minium d’échanges, lui semble malheureusement envisageable.
Il place deux blagues pour illustrer l’hystérie anti-russe en Occident, dont celle-ci: une mère et son enfant regardent des crocodiles dans une mare dans un zoo, alors que passe par là un type avec une canette de bière. L’enfant tombe malencontreusement dans la mare aux crocos, et l’homme se jette à l’eau pour récupérer le gamin. La mère le remercie et se félicite du courage des Ukrainiens, mais l’homme répond qu’il est Russe. Le lendemain, les journaux titrent qu’un ivrogne russe a frustré un crocodile d’un repas tombé du ciel.
Toujours considérer le contexte.
Lavrov fait ici évidemment de la politique, et ne peut laisser transparaître que Poutine, peut-être, s’est bien planté dans son évaluation de la résistance ukrainienne et, surtout, de l’aide militaire massive apportée par l’Otan. Avait-il ou non encore le choix, il faudrait être plongé au cœur du pouvoir russe pour le savoir. Peut-être qu’un jour, après le départ de Poutine, Lavrov écrira ses mémoires…
En attendant, il faut faire avec, et arriver à écouter la parole de l’adversaire couverte par les cris des bien-pensants émoustillés par le bruit des chars partant écraser les barbares homophobes russes. Sous les applaudissements, bien sûr, des grands bénéficiaires de la situation que sont les spéculateurs, les marchands d’armes et les exploitants de gaz de schiste dont les rétrocommissions ne manquent sans doute pas d’arroser nos Big Macron et autres Sainte Ursula.
Liens et sources:
(2) https://zerhubarbeblog.net/2022/03/01/ukraine-le-retour-du-baton/
(3) https://zerhubarbeblog.net/2022/03/10/quel-est-lobjet-des-biolabs-us-en-ukraine/
Merci Vincent pour cette mise à disposition de l’interview de Lavrov. Depuis que RT et sputnik sont ostracisés, il nous reste encore un peu donbass-insider de Christelle Néant pour avoir un point de vue différent de l’AFP et Cie.