Un an depuis le précédant épisode de la saga Brexit sur ce blog (1), et six ans depuis le début de la saga elle-même. L’an dernier, alors que les causes précises de la situation assez catastrophique du Royaume-Uni étaient toujours noyées dans le melting-pot covido-brexitien savamment entretenu par un Boris Johnson slalomant entre les balles du PartyGate (2) et la non-décision sur la mise en œuvre de l’accord douanier avec l’Union Européenne (3), non-décision ayant eu pour effet de mettre à la tête de l’Irlande du Nord la députée Sinn Fein Michelle O’Neill (4) – chose parfaitement incroyable et inimaginable encore quelques mois auparavant -, il n’était pas encore évident que la perpétuelle fuite en avant du brouillon blondinet allait se terminer de manière aussi abrupte.
La fin de BoJo, choc ou opportunité?
Ainsi ce 6 juillet, suite à une série de défaites électorales et à la démission de deux ministres clés (santé et économie), puis d’une palanquée d’autres membres des Tories (le parti conservateur), Boris Johnson s’est vu obligé d’annoncer sa démission, promettant de ne rester en poste que le temps de lui nommer un ou une successeur, chose prévue pour le 5 septembre au plus tard (5).
Plusieurs candidats se tirent déjà la bourre, avec apparemment en pôle position l’ex-ministre de l’économie, le richissime Rishi Sunak, face à l’ex-ministre des affaires étrangères Liz Truss, une professionnelle de la politique politicienne qui n’aura pas laissé de grande impression en qualité de Foreign Secretary…
Les prémices de la crise économique actuelle étaient déjà visibles en juin 2021, là-bas comme ici, et résultant des politiques sanitaires absurdes ayant “justifié” des mesures “économiques” menant droit au déficit et à l’inflation. Une situation rendue pire au RU du fait de la chute de la livre et des restrictions à l’immigration, faisant monter les salaires et les prix bien plus vite qu’ici.
Et tout ceci avant le choc énergétique lié aux sanctions occidentales envers la Russie, sorte de manœuvre suicide visant initialement à détourner l’attention des populations des problématiques locales via de virils battements de poitrines, avant que le piège ne se referme sous l’œil rigolard de Poutine et le doux bruit de la caisse enregistreuse des producteurs de GNL américains. Europeans pigeons forever, pourrait-on dire.
Une première analyse économique.
La question de l’effet du Brexit sur l’économie et la situation politique britannique est devenue, comme celle sur la vaccination covid, un peu taboue: entre les militants pro-Brexit qui ne lâcheront rien même au milieu d’un champ de ruines, et les anti (Remainers) qui ont autre chose à faire que relancer une polémique stérile qui n’amène rien sur le plan politique, c’est l’analyse économique qui va arbitrer et c’est ce que tentait de faire, ce 20 juin 2022, le fameux journal Financial Times via un article intitulé “Le silence assourdissant autour des retombées du Brexit”.
Le Royaume-Uni est à la traîne du reste du G7 en termes de reprise du commerce après la pandémie ; les investissements des entreprises, considérés par Johnson et Sunak comme la panacée à un taux de croissance médiocre, sont à la traîne des autres pays industrialisés, malgré les généreux allégements fiscaux du Trésor pour tenter de les faire augmenter. L’année prochaine, selon le groupe de réflexion de l’OCDE, le Royaume-Uni aura la croissance la plus faible du G20, à l’exception de la Russie, qui fait l’objet de sanctions.
L’Office for Budget Responsibility, le prévisionniste britannique officiel, n’a vu aucune raison de modifier sa prédiction, faite pour la première fois en mars 2020, selon laquelle le Brexit réduirait finalement la productivité et le produit intérieur brut du Royaume-Uni de 4 % par rapport à un monde où le pays resterait au sein de l’UE. Elle précise qu’un peu plus de la moitié de ces dommages ne se sont pas encore produits.
Ce niveau de déclin, d’une valeur d’environ 100 milliards de livres sterling par an en termes de production perdue, entraînerait une perte de revenus pour le Trésor d’environ 40 milliards de livres sterling par an. Il s’agit de 40 milliards de livres qui auraient pu être mis à la disposition de Johnson, assiégé, pour les réductions d’impôts radicales exigées par la droite conservatrice – l’équivalent de 6 pence sur le taux de base de 20 pence de l’impôt sur le revenu.
https://www.ft.com/content/7a209a34-7d95-47aa-91b0-bf02d4214764
Le journal donne d’autres causes, notamment le “red tape”, l’invraisemblable complication technocratique imposée par le RU dans ses échanges avec l’UE et d’autres pays, ayant pour effet une réduction drastique desdits échanges et une augmentation des prix de l’alimentation de 6% entre 2020 et 2021. Il pointe aussi du doigt le manque d’investissement au RU.
Côté politique populiste, la promesse d’un arrêt de l’immigration fut tenue pour ce qui est de l’immigration européenne, mais pas en ce qui concerne l’immigration non européenne, qui continue au rythme de 250 000 personnes par an. Sans compter les quelques 100 000 demandes accordées en provenance d’Ukraine depuis le début de la guerre (6).
La Banque d’Angleterre (BoE) fait ce qu’elle peut, c’est-à-dire pas grand chose hors relever son taux directeur, et selon cet article de Reuters:
Les prix à la consommation ont fait un bond de 9,1 % au cours de la période de 12 mois se terminant en mai, le plus important depuis 40 ans, et la BoE prévoit que l’inflation dépassera 11 % en octobre, lorsque les factures d’énergie augmenteront à nouveau.
La BoE affirme qu’elle ne peut pas faire grand-chose pour stopper l’inflation à court terme et que sa priorité est d’empêcher la hausse des prix de faire grimper les prévisions d’inflation à long terme, ce qui rendrait le problème beaucoup plus difficile à résoudre.
https://www.reuters.com/markets/europe/uk-economy-faces-double-threat-inflation-surge-recession-risk-2022-06-29/
Ce 5 juillet, le message était encore plus pessimiste:
LONDRES, 5 juillet (Reuters) – La Banque d’Angleterre a averti mardi que les perspectives économiques pour la Grande-Bretagne et le monde s’étaient assombries depuis le début de l’année et a demandé aux banques d’augmenter leurs réserves de capitaux pour s’assurer qu’elles pourraient résister à la tempête.
Les institutions internationales, telles que le Fonds monétaire international et l’OCDE, estiment que la Grande-Bretagne est plus exposée à la récession et à une inflation élevée persistante que les autres économies occidentales, qui sont toutes aux prises avec les chocs mondiaux sur les marchés de l’énergie et des matières premières.
https://www.reuters.com/markets/europe/bank-england-tells-lenders-brace-economic-storm-2022-07-05/
Le contre-exemple Nord-Irlandais.
Enfin, plusieurs voix foncièrement pro-Brexit au sein de l’establishment reconnaissent que ce qui est vécu n’est pas ce qui avait été annoncé, qu’il aurait fallu faire un deal à la Norvégienne, et que relancer une guerre avec l’UE sur la question de la frontière irlandaise, le choix de BoJo, ne fera qu’envenimer les choses.
Cette question de la frontière est clé: l’Irlande du Nord est en meilleure santé économique que le reste du RU du fait de l’absence de frontière avec la République d’Irlande et, donc, avec l’UE (7). Une réalité qui fait bouger les lignes politiques, l’idée d’une réunification irlandaise faisant son bonhomme de chemin alors que les unionistes (tenants du rattachement au RU) purs et durs sont soit trop vieux, soit conscients de l’impasse brexitienne, pour monter une résistance violente. Pour le moment du moins.
Même si la question d’un retour en arrière ne se pose pas, ou pas avant longtemps, celle d’une approche plus pragmatique et moins douloureuse pour les Britanniques, elle, se pose très clairement. D’où l’importance du choix du prochain premier ministre, s’il est capable de rompre avec la tradition de confrontation imposée par l’équipe de Johnson. Et en cela, rien n’est moins sûr.
Pour une indépendance raisonnée.
Il n’est pas non plus impossible que les Britanniques commencent à voir d’un mauvais œil les dépenses militaires pharaoniques en faveur de l’Ukraine (plus de trois milliards de livres (8)), ainsi que l’afflux de réfugiés ukrainiens aux mœurs pas toujours très compatibles (9). Le RU est inféodé à l’Otan et aux intérêts américains bien plus qu’il ne l’était à l’Union Européenne, et ceci pourrait aussi pousser certains britanniques à se poser quelques questions sur la réalité de leur indépendance.
Ceci étant, et l’Union Européenne étant devenue, surtout depuis le Covid et l’Ukraine, une sorte d’Union Eurosoviétique dirigée par une mafia corrompue n’ayant que faire des intérêts des européens eux-mêmes (10), ce blog ne milite pas pour un retour du RU dans l’UE mais bien pour une nette diminution de l’emprise de ce monstre technocratique sur notre politique et sur nos vies.
Néanmoins, sauter à l’eau sans savoir où l’on va a peu de chances de mener à quelque chose de mieux, et le retour à une forme de marché commun européen, avec le Royaume-Uni, au sein d’un territoire européen doté d’une défense commune non pilotée par les seuls intérêts des USA, me semble être un objectif raisonnable permettant de retisser des liens de bon voisinage avec ceux qui nous entourent.
Liens et sources:
(1) https://zerhubarbeblog.net/2021/06/23/brexit-poker-29-du-crash-au-rebond/
(3) https://zerhubarbeblog.net/2021/03/09/brexit-poker-28-le-piege-irlandais-se-referme/
(6) https://migrationobservatory.ox.ac.uk/resources/briefings/migration-and-the-ukraine-crisis/
(7) https://www.thelondoneconomic.com/news/northern-ireland-economy-outperforms-rest-of-uk-303057/
(8) https://www.wsws.org/en/articles/2022/05/08/wdbs-m08.html
(10) https://zerhubarbeblog.net/2022/03/07/bienvenue-en-union-eurosovietique/
Pourquoi BoJo a échoué : https://www.contrepoints.org/2022/07/25/435723-comment-boris-johnson-a-echoue