Le 4ème Empire sera-t-il américain?

Ce 11 octobre, l’ex-candidate à la nomination du parti Démocrate, Tulsi Gabbard, annonçait son retrait de ce parti en des termes forts: “Je ne peux pas rester dans l’actuel parti Démocrate, actuellement sous le contrôle total d’une cabale élitiste de va-t-en-guerre” (1). Le 17, Anthony Blinken, l’actuel secrétaire d’Etat, estimait lors d’une conférence à l’Université de Stanford (2), que les USA devaient garder le “leadership” du monde, faute de quoi il pourrait revenir à la Chine ou, pire encore, à personne. Il partageait la scène avec Condoleezza Rice, l’ex-secrétaire d’Etat sous G.W. Bush après Colin Powell, artisane d’une politique hégémonique et interventionniste américaine jamais démentie quel que soit le camp au pouvoir.

Rice appliquait la “doctrine Bush”, elle-même issue de la “doctrine Wolfowitz” du début des années 90 sous Bush père (et rédigée sous l’égide de Dick Cheney, alors secrétaire à la Défense avant de devenir le vice-président de Bush fils, et de Colin Powell, alors chef des armées sous le père avant de devenir secrétaire d’Etat sous le fils… ). Une doctrine prônant notamment l’unilatéralisme, la guerre préemptive, et le changement de régimes “inamicaux” par tous les moyens (3).

Le sénateur Edward Kennedy l’avait d’ailleurs dénoncée, à l’époque, comme “un appel à un impérialisme américain pour le 21ème siècle qu’aucune nation ne peut ni de devrait accepter” (4).

Le 11 septembre 2001 donna un coup d’accélérateur à la chose, les USA pouvant alors se positionner en tant que victime pour aller faire du regime change et du pillage au nom de la “guerre contre le terrorisme”, une idée de génie source de guerres longues et rentables pour le complexe militaro-industriel et pétrolier (Dick Cheney fut patron de Halliburton de 1995 à 2000, un géant de l’exploration pétrolière ayant largement bénéficié de l’invasion en Irak), et justification des innombrables “lois anti-terroristes” dont l’objet réel est bien entendu l’opposition politique interne, là-bas comme ici.

Blinken et son chef sénile Biden s’inscrivent parfaitement dans cette logique impérialiste, la justifiant par la peur du vide ou de l’arrivée de l’impérialisme chinois. C’est bien sûr du flan, l’intérêt des USA étant de maintenir le dollar comme valeur de référence mondiale, ce qui lui permet de vivre à crédit sans en payer le prix, ainsi que de faire accepter son droit extra-territorial (l’interdiction faite, par exemple, aux sociétés françaises de commercer avec l’Iran) via un chantage permanent, comme par exemple l’affaire Alstom (5).

La montée de l’Etat voyou.

Cela fait donc trente ans que les USA imposent leur volonté au monde par la violence, le chantage, la corruption, et la propagande grâce à laquelle elle reste, pour une majorité de lampistes, la figure de proue du “camp du bien”, aux mains pourtant dégoulinantes de sang.

Tout allait plus ou moins bien jusqu’en 2015 et la guerre en Syrie, où les USA voulurent faire tomber Assad pour une question (déjà) de pipelines (6), mais où leur vecteur de déstabilisation cofinancé avec l’allié saoudien leur échappa pour devenir l’Etat islamique, qu’il fallut alors mater. Ceci laissa une porte ouverte à la Russie, qui s’y engouffra aux côtés de l’Iran pour contrer l’axe USA-Israël-monde sunnite-insurgés syriens d’une part, les islamistes de Daech et assimilés d’autre part.

C’est aussi en 2015 que le lieutenant-colonel d’aviation en retraite, W.J. Astore, se posait la question de la démence des dirigeants américains, base d’un article de ce blog débutant ainsi:

L’envoi la semaine dernière de 300 instructeurs militaires en Ukraine, le déploiement cette semaine d’un porte-avion au large du Yémen pour empêcher la livraison d’armes aux Houthis depuis l’Iran, sont pour lui les derniers signes d’une politique de provocation de la part des dirigeants US envers la Russie et l’Iran. Une Russie qui pourrait finalement décider d’envahir l’Ukraine pour de vrai afin de se dégager du collier étrangleur que l’OTAN cherche à lui passer au cou…

Pour Astore, tout ceci est un cas d’école de capacité de projection militaire globale, de puissance globale, et de stupidité globale…

Les dirigeants US ont tellement envie d’aller chatouiller le gros ours russe qu’ils aident un gouvernement ukrainien qui, s’il n’était pas désigné par nos politiques et médias comme « victime » de la Russie, serait mit au ban des nations occidentales: Kiev a marqué le 70ème anniversaire de la fin de l’Holocauste en mettant à l’honneur ses collaborateurs nazis. Le régime actuel de Kiev est dominé par les néofascistes et n’hésite pas, semble t’il, à liquider ses opposants politiques.

https://zerhubarbeblog.net/2015/04/25/les-dirigeants-us-sont-ils-fous/

Derrière l’arrogance, la réalité de l’effondrement qui vient.

La violence de l’Etat américain est inversement proportionnelle à ses succès géopolitiques et militaires, et reflète sa transition vers un “Etat failli”, peut-être le premier exemple de la transition d’un pays riche vers la tiers-mondisation, au sens de sa structure sociale. L’essayiste américain Umair Hague, en 2018, tentait une explication dans un article intitulé “Pourquoi nous sous-estimons l’effondrement américain – Les étranges maladies du premier Etat riche ayant échoué” (7).

L’investisseur à succès Bill Bonner, milliardaire ayant correctement prédit les crashs précédents (bulle dotcom, crise de 2008), prévient que les USA se dirigent vers un “cauchemar hivernal”, à la croisée des chemins entre un crash énergétique et un crash financier, et n’hésite pas à traiter les politiciens, médias et universitaires actuels d’incompétents et de corrompus. Il pourrait dire la même chose de l’Europe.

Les USA sont donc un Etat en voie de désintégration intérieure (la guerre civile n’est pas loin) aux mains d’une oligarchie ayant détourné les moyens de l’Etat à son propre profit (L’Etat prédateur, James Galbraith, 2008), et pour qui l’avenir est une éternelle fuite en avant sur les cendres chaudes des pays susceptibles de lui faire ombrage.

L’Europe, via l’Otan et la corruption de ses “élites” par le grand capital américain, lui est globalement acquise. L’allié traditionnel britannique, désormais à poil suite au Brexit, lui lèche les bottes. La résistance allemande, sous la forme d’un lien renforcé avec la Russie via le gazoduc Nord Stream 2, est désormais anéantie grâce à l’Ukraine, une défaite symbolisée par le sabotage des matériels: tout le monde se doute que les USA sont responsables, ne serait-ce que par la réaction de Blinken (“Ceci est une excellente opportunité…”(8)), ainsi que par les refus des Suédois et des Allemands de divulguer leurs résultats d’enquête par crainte de représailles (9).

L’Ukraine, le piège à ours.

La guerre en Ukraine est elle-même le fruit d’un long processus, synthétisé dans cet article intitulé “Ukraine, le retour du bâton” (10). Un processus dont l’objectif, pour les USA, est de bloquer l’Europe et la Russie dans une longue étreinte mortelle, une guerre d’usure visant à détruire ces économies et à lui laisser le champ libre sur l’autre théâtre en phase de chauffe: la Chine, par le biais de la question de Taïwan.

Un processus qui, pour l’Ukraine, vise à intégrer l’UE et l’Otan à marche forcée. Une intégration qui ne pouvait se faire avant l’agression russe car trop dangereuse (du fait de l’article 5), sachant que les Russes ne pouvaient que constater le non-respect des accords de Minsk concernant le Donbass, et la continuité manifeste des Ukrainiens (de l’Ouest) à procéder à un “nettoyage culturel” (11) de l’Est, russophone et en bonne partie russophile. Le documentaire “Donbass – 2016” par Anne-Laure Bonnel donne une idée de l’ambiance (12).

Ce que confirmait d’ailleurs, en 2019, Oleksiy Arestovytch, un proche de Zelensky et par ailleurs, selon Wikipédia, “blogueur, acteur et journaliste politique et militaire, agent d’influence et des services de renseignement, chroniqueur de médias en ligne, organisateur de séminaires d’organisation et d’entraînement pour des opérations psychologiques en soutien aux militaires ukrainiens dans la Guerre du Donbass de 2014 à 2017”:

Bruits de bottes sur le front de l’Est.

Entre mars et août 2022, les USA ont alloué 54 milliards de dollars sous forme d’aide économique et (surtout) militaire à l’Ukraine (13), et ceci continue avec les dernières annonces: 625 millions en security package et 1,1 milliards en armements, rien que pour septembre (14).

Outre l’aide en matériel, l’armée américaine se prépare activement à intervenir sur le théâtre ukrainien, sa force aéroportée d’élite venant de s’installer à la frontière entre la Roumanie et l’Ukraine (15). Il y a actuellement 100 000 militaires américains en Europe (30 000 de plus qu’au début de la guerre), et 40 000 autres soldats de l’Otan positionnés sur la partie Est de la zone (16), soit quasiment l’équivalent de la force russe d’avant la mobilisation de 300 000 réservistes le mois dernier.

Les USA disent ne pas être en guerre contre la Russie, mais considèrent que la victoire de Poutine serait une défaite de l’Otan, donc des USA, donc ils sont bien dans un état de guerre de fait. Au nom de qui ou de quoi, spécifiquement?

Taïwan, TSMC et l’ouverture du front chinois.

Outre la volonté d’un affaiblissement économique et militaire de la Russie, qui passe par le sacrifice de l’Europe sommée de se transformer en “économie de guerre”, c’est-à-dire (pour faire simple) le passage à la dictature (on le voit déjà avec l’incroyable autant qu’illégitime puissance de la très corrompue présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen), ainsi qu’à une économie de la pénurie au profit d’un réarmement massif (l’Allemagne a déjà prévu un plan de remilitarisation de 230 milliards d’euros), nous assistons à une guerre économique lancée contre la Chine par le biais, pour le moment, du marché des semiconducteurs de pointe.

Ce 13 octobre, l’administration Biden a obligé les ressortissants américains travaillant au sein de l’industrie des semiconducteurs chinois, à quitter leurs fonctions. Les résidents chinois aux USA travaillant pour ces sociétés perdent leur citoyenneté s’ils ne démissionnent pas (17). L’impact sur l’industrie chinoise est féroce (18).

Dans le même temps, les USA interdisent à la plus grande société de semiconducteurs du monde, TSMC, située à Taïwan, d’exporter son haut de gamme vers la Chine. Un matériel dont la Chine a besoin pour son propre matériel de pointe, ce que des observateurs traduisent comme une provocation faite à la Chine: l’obliger à envahir Taïwan afin de mettre la main sur TSMC (19), et ainsi lancer la guerre qu’aussi bien la clique à Xi Jinping que celle de Biden appellent de leurs vœux.

Au jeu des BRICS.

Est-ce que cela restera une guerre locale autour de Taïwan, ou le départ d’un conflit mondial dans lequel l’Occident se trouverait embarqué par la démence des puissants, that is the question. Si l’on observe les alliances déjà en place ou en cours de formation, outre le pacte sino-russe signé juste avant l’invasion russe en Ukraine (20), on remarque que le club des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), qui représente 40% de la population mondiale, cherche à s’agrandir avec des demandes d’adhésion de la part de l’Argentine, de la Turquie, de l’Iran, de l’Egypte et de l’Arabie Saoudite.

Une confédération a priori contre nature, mais unie par une même nécessité: casser l’hégémonie américaine et trouver une alternative à la domination du dollar US, cette arme de destruction massive que les USA viennent de mettre en œuvre contre les avoirs russes, et qui aujourd’hui fragilise l’ensemble de l’économie mondiale. Car, comme dit au début de cet article, là est l’enjeu fondamental: les USA ne peuvent survivre dans leur logique impérialiste et avec leur niveau de consommation actuel qu’à la condition que tout revienne au dollar. Si le monde apprend à s’en passer, le roi américain sera nu.

D’un Empire à l’autre.

Les psychopathes de la Maison Blanche pilotés par l’Etat profond, cette association mafieuse du grand capital, du complexe militaro-industriel et des services secrets (CIA, NSA), sont prêts à imposer leur hégémonie par la force si la sanction économique ne suffit pas. C’est ce qu’ils font depuis trente ans mais là, cela devient compliqué car l’opposition est forte et consciente, exemples à l’appui, que sa soumission aux intérêts US finira toujours par se retourner contre elle.

C’est très précisément ce que vit l’Europe aujourd’hui, et ce que les soldats ukrainiens paient de leur sang. Les psychopathes susmentionnés se croient invincibles et ontologiquement supérieurs, autorisés par quelque droit divin à imposer leur impérialisme à l’ensemble de la planète. Un géant aux pieds d’argile pourtant, sans capacité militaire réelle autre que la vitrification générale, vu que son armée sert à faire la guerre pour le profit, pas pour la gagner.

Voici 77 ans, des Américains aidaient le continent européen à ranger le 3ème Empire au rayon des catastrophes malheureuses. Aujourd’hui d’autres Américains, beaucoup moins bien mais sous le même drapeau, cherchent à nous imposer le 4ème, et cela pourrait se passer encore plus mal. Pour nous mais, cette fois, pour eux également.

Liens et sources:

(1) https://www.foxnews.com/politics/tulsi-gabbard-leaves-democratic-party-denounces-elitist-cabal

(2) https://youtu.be/OTDEz0KidXU

(3) https://en.wikipedia.org/wiki/Bush_Doctrine

(4) https://en.wikipedia.org/wiki/Wolfowitz_Doctrine

(5) https://www.capital.fr/economie-politique/affaire-alstom-frederic-pierucci-raconte-lenfer-quil-a-vecu-aux-etats-unis-1324979

(6) http://ekopol.over-blog.com/2015/12/syrie-la-guerre-des-pipelines.html

(7) https://zerhubarbeblog.net/2018/01/29/la-societe-americaine-au-bord-de-leffondrement-et-nous/

(8) https://dailycaller.com/2022/10/03/blinken-nord-stream-sabotage-tremendous-opportunity-europe/

(9) https://www.epochtimes.fr/la-suede-quitte-lenquete-conjointe-sur-la-fuite-du-nord-stream-et-refuse-de-partager-ses-conclusions-invoquant-la-securite-nationale-2135764.html

(10) https://zerhubarbeblog.net/2022/03/01/ukraine-le-retour-du-baton/

(11) https://russiepolitics.blogspot.com/2017/06/lukraine-tentee-par-le-nettoyage.html

(12) https://youtu.be/b8j0tJsKltg

(13) https://marketrealist.com/p/how-much-money-has-the-us-sent-to-ukrainie/

(14) https://news.yahoo.com/biden-announces-625-million-aid-101500426.html

(15) https://www.cbsnews.com/news/ukraine-news-russia-us-army-101st-airborne-nato-war-games-romania/#app

(16) https://americanmilitarynews.com/2022/06/us-troops-surpass-100000-in-europe/

(17) https://news.yahoo.com/biden-chip-controls-may-force-092957115.html

(18) https://www.independent.co.uk/news/world/americas/us-sanctions-china-semiconductors-industry-b2202941.html

(19) https://www.tomshardware.com/news/taiwan-security-bureau-no-need-to-destroy-tsmcs-fabs-if-china-invades

(20) https://zerhubarbeblog.net/2022/02/07/4-fevrier-2022-premier-jour-de-lere-de-la-domination-sino-russe/

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

10 réponses

  1. Toujours d’accord avec vous, vos analyses sont impeccables et surtout parfaitement réalistes.
    “… la transition d’un pays riche vers la tiers-mondialisation…”, plutôt tiers-mondisation, non ? 🙂

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