La semaine dernière le magasine économique Forbes publiait un article intitulé “Le dollar US peut-il s’effondrer?” (1), une question à laquelle l’auteur répond “Sans doute pas, mais ce n’est pas impossible”. Une posture improbable pour un tel journal voici encore un an, mais une prudence que ne partagent pas de nombreux analystes qui estiment que la probabilité d’un tel évènement est élevée, et ce pour plusieurs raisons avec un dénominateur commun: l’administration US utilise son contrôle sur le dollar comme une arme de guerre, et les pays qui l’utilisent pour le commerce et comme réserve de valeur, c’est-à-dire la majorité, l’ont compris et cherchent à en sortir afin d’éliminer ce risque d’ingérence.
Le dollar en contexte.
La suprématie du dollar s’est construite au fil du temps. Au début, comme toute monnaie, le dollar était basé sur l’or, et directement convertible. En 1933, lors de la Grande Dépression, le gouvernement US interdisait à la population de détenir de l’or, qu’elle devait vendre (à prix réduit bien sûr) à l’Etat (2).
La convertibilité du dollar en or est éliminée par Nixon en 1971, afin de lutter contre un haut taux d’inflation (entre 5% et 6%) et un chômage de 6%, très important pour l’époque (3). En 1973, l’accord entre l’Arabie saoudite et les USA crée le pétrodollar, un mécanisme garantissant aux USA que le marché mondial du pétrole se traite en dollar, ce qui nécessite de la part des pays importateurs d’importantes réserves de la monnaie américaine, et oblige les pays exportateurs à réinvestir leurs montagnes de dollars dans des bons du trésor US, le tout permettant aux USA de financer leur dette avec de l’argent gratuit, ou presque.
La suprématie du dollar en tant que réserve de valeur mondiale est donc le fondement de l’impérialisme US, lui permettant de financer une économie et une armée gigantesque, de vivre au-dessus de ses moyens, et de s’offrir un droit extraterritorial illustrant sa perception du monde comme une sorte d’arrière-cour où tout lui serait permis.
Clap de fin.
Une situation qui se termine aujourd’hui du fait de la conjonction de deux grands évènements: d’une part l’usage immodéré de la planche à billets depuis 2008 menant à la fragilisation de la monnaie et à l’inflation (situation que la FED tente de retourner via ses hausses de taux depuis un an, mais sans réel succès car les conséquences de ces hausses sont, entre autres, la fragilisation du système bancaire).
D’autre part, le vol des avoirs russes et son éviction du système des règlements internationaux SWIFT, de surcroit sans effet mesurable sur la capacité de la Russie à mener sa guerre en Ukraine, mais dont la conséquence première est l’accélération d’un processus mondial d’émancipation face au dollar. Un mouvement mené par la Chine, bien sûr, qui achète (et mine) de l’or en grandes quantités afin de constituer un collatéral crédible en vue de la création d’une monnaie concurrente au dollar.
Une Chine à la tête des BRICS et suivie de l’Asie à l’Amérique Latine en passant par le Moyen-Orient, où le sacro-saint pétrodollar est lui-même remis en cause, les pays exportateurs acceptant de plus en plus de vendre hors dollar (4). Et voici quelques jours, le Brésil et la Chine signaient un accord visant à régler leurs échanges hors dollar (5).
Ci-dessous la vidéo d’une courte conférence publique avec Frank Giustra, millionnaire philanthrope généralement bien renseigné (8), sur sa perception de la situation. Les articles et émissions US sur le sujet ne manquent pas, une partie de la population américaine se rendant compte de l’éminence du danger.
Contre-mesures: guerres et MNBC.
Une situation qui repose entièrement sur la bêtise et l’arrogance des gouvernants US, ici applaudis bien sûr par les euro-atlantistes de tous bords, mais une situation dont les conséquences pourraient être dramatiques: la chute du dollar inhérente aux politiques monétaires et guerrières des USA va se traduire, à terme, par l’assèchement de la clientèle mondiale pour ses bons du Trésor (hors quelques vassaux européens, j’imagine), donc de sa capacité à se financer, donc par l’apparition d’une véritable crise existentielle de la American way of life : inflation encore plus forte, paupérisation massive, état de guerre civile dont la réponse habituelle risque d’être la confrontation chaude avec “l’ennemi”, ici la Chine encore plus que la Russie. Rien de tel qu’une guerre, en effet, pour détourner les populations des vrais problèmes, voire remettre quelques compteurs à zéro au passage.
Si les BRICS et pays associés en arrivent à créer une monnaie concurrente basée (du moins en partie) sur l’or, rien n’empêcherait a priori les USA de soutenir le dollar en rétablissant la convertibilité en or mais, si on prend le seul bilan de la banque centrale (FED) à 8,7 millions de millions de dollars (6), rapportés aux 8 000 tonnes d’or officiellement détenues par le Trésor fédéral, cela ferait de l’ordre de 30 800 dollars de l’once, dont le prix de marché est actuellement juste en dessous de 2 000 dollars. Ca risque de coincer.
Tout comme le gouvernement US de 1933 avait simplement rendue illégale la possession d’or afin d’éviter la mort du dollar, le ou les gouvernements US (mais aussi européens et chinois) d’aujourd’hui et, sans doute, de demain auront aussi recours à la “soviétisation” économique, cette fois via les fameuses monnaies numériques de banques centrales (MNBC), dont les études sont clairement en cours au sein de la FED et de la BCE, et en phase de test en Chine. On peut imaginer que de nombreux autres pays y pensent également (7).
Le principe, en deux mots, est de transformer toute la monnaie (cash et électronique existante) en une entité numérique directement gérée par les banques centrales. Ce qui permet d’un côté de gagner du temps et de l’énergie dans la gestion de la monnaie (tout paiement se faisant alors d’un compte bancaire à l’autre au sein de la même banque centrale, plutôt qu’à travers une myriade de banques qui doivent ensuite se synchroniser entre elles), mais de l’autre cela donne une visibilité totale de la banque centrale sur toutes les opérations, qui n’ont plus rien de privé (comme avec le cash), et de là un contrôle tout aussi total.
Si les MNBC avaient existé lors de la dictature sanitaire, il est fort probable que les non-vaccinés se seraient aussi vu coupés de leurs comptes, hors opérations de survie comme l’alimentaire et les loyers. Toute autre opération aurait pu être bloquée, et c’est clairement l’objectif premier des régimes visant la mise en place des MNBC: transparence, contrôle et coercition totale de la population.
Ce d’autant plus dans le cas probable des USA (et de l’Europe vassalisée et ruinée par les mêmes), où une dévaluation massive du dollar face à une concurrence monétaire, montée par les BRICS, justifierait ce système de contrôle afin d’éviter un “dollar run” où tout le monde chercherait à sortir du dollar en achetant de l’or, du gaz, du Bitcoin etc… , aggravant ainsi sa chute. La MNBC permettrait au régime d’interdire à la population tout achat de ce type. Sauf pour la Nomenklatura locale, bien sûr.
Quelles conséquences pour l’Europe?
Un effondrement du dollar et de l’économie US entrainerait fatalement l’Europe avec elle, et le processus a déjà commencé avec l’implication européenne dans la guerre en Ukraine, avec le sabotage américain de Nordstream et les “sanctions” visant à nous rendre dépendant du GNL US, avec la vampirisation de l’économie européenne via le prix de l’énergie et du Inflation Reduction Act (9), et le contrôle opéré sur la gouvernance européenne (10).
L’Euro est aujourd’hui la seconde monnaie mondiale (19% des échanges), derrière le dollar. Le total des avoirs en or des différentes banques centrales européennes est de 11 700 tonnes (11), plus que les USA pour une masse monétaire inférieure. Plus que la Chine et la Russie réunies, même si leurs chiffres sont certainement largement sous-évalués. Est-ce que l’UE (et donc la BCE qui gère l’Euro) résisterait à une implosion américaine, aucune idée, tout dépend sans doute des circonstances.
Quoi qu’il en soit, l’urgence politique et économique européenne est de sortir de l’emprise américaine et, sans doute, de renouer des liens avec notre voisin naturel qu’est la Russie. Il nous faut éviter la catastrophe potentiellement nucléaire vers laquelle nous pousse un Etat profond dément et ses psychopathes corrompus sauce von der Leyen (12), mais également éviter la paupérisation par la délocalisation industrielle énergétique vers les USA, combattre la corruption massive des institutions, et refuser la prison numérique et économique que nous concoctent ces mêmes institutions via la BCE. Vaste programme, malheureusement très mal accueilli par les euro-atlantistes et la majorité des institutions et forces politiques, toutes entités observantes de la Voie de la Gamelle.
Liens et sources:
(1) https://www.forbes.com/sites/qai/2023/03/29/could-the-us-dollar-collapse/
(2) https://theconversation.com/how-the-us-government-seized-all-citizens-gold-in-1930s-138467
(3) https://en.wikipedia.org/wiki/Nixon_shock
(5) https://www.foxbusiness.com/markets/brazil-china-strike-trade-deal-agreement-ditch-us-dollar
(6) https://fr.tradingeconomics.com/united-states/money-supply-m1
(7) https://fr.wikipedia.org/wiki/Monnaie_num%C3%A9rique_de_banque_centrale
(8) https://en.wikipedia.org/wiki/Frank_Giustra
(10) https://zerhubarbeblog.net/2023/04/01/emmanuel-macron-et-loperation-harmony/ (attention, publié un 1er avril…)
(11) https://www.gold.org/goldhub/data/gold-reserves-by-country
Voir aussi:
https://www.msn.com/fr-fr/finance/other/totalenergies-livre-%C3%A0-la-chine-du-gnl-pay%C3%A9-en-yuans-une-premi%C3%A8re/ar-AA19gbKk?ocid=msedgdhp&pc=U531&cvid=51cc24a9df9240db936198776d691d73&ei=16
Bitcoin MNBC https://youtu.be/yT1onTmarjM
#Syrie #MoyenOrient #nouveaumonde Après sa visite quasiment royale aux Emirats Arabes Unis le 19 mars dernier, qui suivait sa visite à Moscou du 15 mars avec force délégations, voilà que le “boucher de Damas” est invité par l’Arabie saoudite au sommet de la Ligue Arabe, ce 19 mai à Riyad.
L’Arabie saoudite avait rompu ses relations avec la Syrie en 2012, dans le cadre de la “guerre en Syrie” où “l’axe du bien”, mené par les USA/occident avec le support d’Israël et de l’Arabie, combattait d’un côté les monstres qu’il avait créé (Etat islamique et versions locales d’Al Qaïda), et de l’autre “l’axe du mal” composé de la Russie, de l’Iran et du régime d’Assad en Syrie.
Cette invitation, associée au réchauffement des relations entre les éternels ennemis que sont l’Iran et l’Arabie (têtes des mondes chiite et sunnite) face à la démence hégémoniste des USA / euro-atlantistes, marque un changement d’époque au Moyen-Orient, du moins si tout ceci tient.
Cela marque surtout la déconfiture occidentale qui, après avoir plus ou moins perdu la Turquie qui mange à tous les râteliers, est en train de perdre l’Arabie et, avec elle le pétrodollar, ligne de vie de l’économie US.
Face à un monde en révolte et la fin probable de ses prébendes, les USA vont se retrouver en phase de tiers-mondisation rapide. Dans un tel scénario, avec des psychopathes au pouvoir et l’arsenal que l’on sait, le pire est sans doute à venir.
[…] rapidement décrit dans l’article précédent “Vers la fin du dollar?“, les MNBC répondent officiellement à une demande de fluidité des opérations financières […]
Conséquences de la chute du dollar, par le Pr Wolff de “Democracy at work”. https://youtu.be/rbVd2SAbzdI
Lorsque le dollar devient une monnaie à risque. https://nypost.com/2023/03/11/why-the-us-dollar-has-become-an-at-risk-currency/
https://institutdeslibertes.org/la-dedollarisation-saccelere/