De l’amalgame antisioniste.

Il est des concepts chéris des professionnels de la victimisation que l’on égratigne à ses risques et périls. Des sujets qui se situent hors du champ du débat reconnu comme légitime par les défenseurs de l’ordre (ou plus précisément du désordre) établi à leur propre avantage.

Parmi ces sujets, la sainteté juive et le lien entre antisionisme et antisémitisme. L’antisionisme, normalement définit comme une opposition à la politique expansionniste d’Israël, à son refus de trouver toute solution à base de deux Etats indépendants, et à l’instauration récente de l’apartheid en terre d’Israël (1) est devenu, pour les nombreux clients et chiens de garde de la “pensée” pro-israélienne, synonyme d’antisémitisme – la haine du peuple juif par principe.

Tactique classique de dénigrement de l’opposition: dès lors que l’on est à court d’arguments on fait un lien entre cette opposition et une idéologie repoussante, en l’occurrence l’antisémitisme. Critiquez Israël, BHL, Alain Finkielkraut, Patrick Cohen, le Crif ou n’importe qui ou quoi dont le fond de commerce repose, à un moment ou un autre sinon tout le temps, sur l’extension ad infinitum de la victimisation du peuple juif par les nazis, et vous finirez antisémite.

Origines de l’amalgame.

En France, ex-terre de la liberté d’expression, l’amalgame à but de censure associant l’antisionisme à l’antisémitisme fut lancé, dans sa forme actuelle du moins, par Manuel Valls. Très proche de l’establishment juif, par mariage et par intérêt si on en croit un certain Roland Dumas (2), Manuel Valls (alors ministre de l’Intérieur) n’avait pas résisté à l’amalgame antisionisme = antisémitisme dès 2012 (3) et en avait remis une couche lors de son discours du Trocadéro en mars 2014 (4):

Le ministre de l’Intérieur a également salué la communauté juive de France, “à l’avant-garde de la République et de ses valeurs”, en affirmant “Juifs de France, sans vous, la France n’est plus la France !”.

Le décor ainsi planté, Emmanuel Macron n’a pas du faire un grand pas pour annoncer, lors du dernier dîner annuel du Crif où il était invité, comme ses prédécesseurs, qu’il comptait faire associer en droit antisionisme et antisémitisme (5):

Invité par les représentants de la communauté juive au dîner annuel du Crif à Paris, Emmanuel Macron a annoncé lors d’un discours empli d’émotion que la France allait adopter dans ses textes de référence une définition de l’antisémitisme qui intègre l’antisionisme. 

“L’antisionisme est une des formes modernes de l’antisémitisme”, a affirmé Emmanuel Macron ce mercredi soir, avant d’être applaudi. 

Que la communauté juive clientéliste du Crif espère ainsi faire taire toute critique d’Israël, en l’associant à l’antisémitisme, relève d’une technique classique de censure, mais hors la corruption et la bêtise qu’est ce qui peut motiver une élite française non-juive à se perdre dans un tel non-sens?

Dénonciations de l’amalgame.

Azmi Bishara, un intellectuel palestinien, directeur du Arab Center for Research and Policy Studies, se pose précisément cette question (6). Je cite ce passage:

Qu’Emmanuel Macron ait réellement l’intention de faire adopter une telle législation ou pas, si tant est qu’il le puisse, il semble tout ignorer à la fois de l’antisionisme et de l’antisémitisme. Il serait surpris d’apprendre que non seulement les plus éminents théoriciens et défenseurs de la pensée antisioniste sont des intellectuels juifs de différentes obédiences politiques, mais également qu’historiquement, l’antisionisme, comme le sionisme, fut un phénomène juif, à savoir une réaction juive au projet sioniste. Concrètement, il sera difficile pour le président français d’assimiler l’antisionisme à l’antisémitisme, car il n’existe absolument aucun lien entre les deux idées.

L’amalgame a également suscité un article de l’économiste et directeur de l’observatoire des religions et de l’observatoire économique de la Méditerranée, Philippe Simonnot, dans Contrepoints (7) où il dit entre autres ceci:

Assurément, beaucoup d’antisémites aujourd’hui se sont recyclés dans l’antisionisme. C’est l’un des effets pervers de la criminalisation légale de la détestation des Juifs. Comme le torrent au courant duquel un barrage tente de faire obstacle, interdire légalement une haine, conduit cette haine à prendre d’autres chemins. On ne change pas les passions humaines par décret, et les paroles, aujourd’hui, d’Emmanuel Macron comme celles, hier, de Manuel Valls ne sont pas faites pour apaiser les esprits. Elles n’arracheront même pas les masques que portent les mauvais bergers du peuple français, qui se régalent déjà de leurs discours.

Mais peut-être faut-il être Juif pour avoir le droit de critiquer l’amalgame? Un Juif ne pouvant être antisémite, l’existence de Juifs antisionistes devrait, en théorie, suffire à clouer le cercueil de la thèse révisionniste politiquement correcte de Valls, Macron et Cie. Ces Juifs existent bien entendu, et leur voix passe entre autres par l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP) (8) dont un communiqué du 19 février 2019 dit ceci:

Nous sommes juifs, héritiers d’une longue période où la grande majorité des Juifs ont estimé que leur émancipation comme minorité opprimée, passait par l’émancipation de toute l’humanité.

Nous sommes antisionistes parce que nous refusons la séparation des Juifs du reste de l’humanité.

Nous sommes antisionistes parce que la Nakba, le nettoyage ethnique prémédité de la majorité des Palestiniens en 1948-49 est un crime qu’il faut réparer.

Nous sommes antisionistes parce que nous sommes anticolonialistes.

Nous sommes antisionistes par ce que nous sommes antiracistes et parce que nous refusons l’apartheid qui vient d’être officialisé en Israël.

Nous sommes antisionistes parce que nous défendons partout le « vivre ensemble dans l’égalité des droits ».

Au moment où ceux qui défendent inconditionnellement la politique israélienne malgré l’occupation, la colonisation, le blocus de Gaza, les enfants arrêtés, les emprisonnements massifs, la torture officialisée dans la loi … préparent une loi liberticide assimilant l’antisémitisme qui est notre histoire intime à l’antisionisme, 

Nous ne nous tairons pas.

Pourquoi l’amalgame?

Si l’amalgame antisionisme = antisémitisme ne tient pas et qu’il est si facile de le démontrer, à qui profite-t-il? Aux victimaires professionnels bien entendu, au régime de Benjamin Netanyahou encore plus car cela lui permet d’imposer l’apartheid en Israël (9) sans que personne n’ose trop en parler, et aux fameux “lobby juif” dont la critique est – encore plus – taboue mais qui existe néanmoins bel et bien.

Une descente sidérante dans les profondeurs eschatologiques qui sous-tendent la situation présente, l’alliance sans faille d’Israël avec les évangélistes américains, est fournie par la lecture du livre “Les dieux criminels au cœur des conflits” par le théologien et philosophe franco-libanais Antoine Fleyfel. Livre dont j’ai publié le compte-rendu ici (10).

Plus prosaïque, une série documentaire par Al Jazeera intitulée “The Lobby”, où un jeune juif infiltre les réseaux du lobby israélien, vaut également le détour (11). On y mesure la puissance de contrôle de ce lobby sur les gouvernements aux US au Royaume-Uni, et on se doute que ces manipulations existent aussi ailleurs. Ce qui expliquerait la soumission des médias et élites françaises.

Evidemment, on dira qu’un documentaire anti-israélien par Al Jazeera est dans l’ordre des choses, mais ce raccourci est un peu facile. C’est comme dire que RT sera nécessairement anti-démocratie alors que la chaîne héberge, par exemple, le programme de débat ouvert de Taddéï, où que France24 ne passe que des informations de propagande à la gloire de la France. La vérité est bien plus subtile. Aux USA plusieurs journaux politiques parfaitement mainstream tels Foreign Policy (12) ou Brookings adressent la question du lobby juif (connu aux USA sous l’acronyme AIPAC).

Quel avenir alors pour l’amalgame antisionisme = antisémitisme? Nous savons qu’il est inopérant sauf à titre de censure, qu’il n’a pas de sens et est rejeté par des intellectuels juifs comme non-juifs, qu’il est plus que probablement le fruit d’un lobbying de fond auprès d’élites françaises en mal de promotion victimaire à visées politiciennes.

Reste que si le Droit français se trouvait ainsi à nouveau corrompu, comme il l’est déjà avec les fameuses lois mémorielles, les lois de renseignement et la toute nouvelle loi anti-casseurs, des articles tels celui-ci pourraient mener son auteur à quelques sérieux soucis de “justice”. Cette corruption concerne tous ceux et celles qui verraient leur critique légitime de la politique israélienne, et de ses lobbies, interdite ou fortement censurée.

Liens et sources:

(1) https://www.cath.ch/newsf/pour-netanyahou-israel-est-un-etat-seulement-pour-les-juifs/

(2) https://www.lepoint.fr/politique/roland-dumas-je-vais-encore-me-faire-traiter-d-antisemite-mais-27-03-2015-1916429_20.php

(3) http://leplus.nouvelobs.com/contribution/632264-antisemitisme-et-antisionisme-une-confusion-malsaine-qu-il-faut-dissiper.html

(4) https://www.lemondejuif.info/2014/03/manuel-valls-juifs-de-france-sans-vous-la-france-nest-plus-la-france/

(5) https://www.bfmtv.com/politique/macron-annonce-que-la-france-va-integrer-l-antisionisme-a-sa-definition-juridique-de-l-antisemitisme-1636916.html

(6) https://orientxxi.info/magazine/l-antisionisme-est-il-une-forme-d-antisemitisme,2946?fbclid=IwAR0dD1TAhNh1Izum4vKVhUKmT448Jqa6GbkooQi9LsuuO0Qg2K0v-ZOg5cI

(7) https://www.contrepoints.org/2019/03/07/338798-lantisionisme-nest-pas-un-antisemitisme?utm_source=dlvr.it&utm_medium=SOCIAL&utm_campaign=Facebook-automation

(8) http://www.ujfp.org/spip.php?article6938

(9)

(10)

(11) https://www.aljazeera.com/investigations/thelobby/

(12) https://foreignpolicy.com/2019/02/15/how-and-how-not-to-talk-about-the-israel-lobby/

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

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