Re-Calais recalé.

Yann Moix a réalisé un documentaire sur la condition des migrants à Calais intitulé “Re-Calais”, actuellement visible sur ARTE (1). Il nous promettait, notamment, des images choc sur le traitement policier des migrants, ainsi qu’un regard croisé avec le point de vue des calaisiens, des migrants, des militants associatifs et des flics. Le titre du documentaire lui-même, “Re-Calais”, est d’ailleurs pas mal trouvé. Malheureusement il s’applique à mon avis autant au film lui-même qu’à l’action immorale de l’Etat, via les “forces de l’ordre”, envers des gens qui ne demandent qu’à obéir – foutre le camp – mais auxquels la France ferme par ailleurs la frontière vers l’Angleterre.

Tout n’est pas à jeter dans ce documentaire, mais l’on n’y voit rien de plus que ce que l’on peut voir depuis des années là-bas. La chasse aux migrants à coups de matraques et de gazeuses était déjà un sport local quand les migrants campaient, par centaines, dans les sous-bois et usines désaffectées de Calais. La situation a changé lors de la construction du camp des Dunes, l’action policière devenant alors plutôt une action d’interdiction d’accès aux infrastructures portuaires et au tunnel. Mais avec la destruction du camp et le retour des migrants sous les ponts et dans les bois, la chasse a repris de plus belle, et c’est toute l’horreur de cela que “Re-Calais” devait nous montrer.

Que voyons-nous? Des images classiques de flics courant après des migrants courant après des camions, de flics détruisant des tentes, une vue de loin d’un flic claquant un migrant avec en prime un gros bruitage digne d’un sketch, des gens gazés comme on en voit dans quasi toutes les manifestations et ZAD genre Bure ou Notre-Dame-des-Landes, et quelques locaux qui expriment leur colère et leur désarroi face à cette situation. On y (re)découvre les conditions effectivement indignes de ces migrants qui risquent chaque soir leur peau pour traverser la Manche vers ce qu’ils perçoivent comme un avenir moins pire.

On y voit surtout une mise en scène de Moix lui-même, se présentant comme témoin et porte-parole de la “cause”, affligé – à juste titre, évidemment – par les traitements infligés aux migrants mais sans qu’il y ait une once de mise en contexte et d’analyse de ce qu’il se passe. A part un nazi cagoulé de la police qui jette un regard noir au cameraman lorsque son collègue interpelle l’équipe de tournage filmant un jeune migrant à la recherche de ses affaires dans le tas de tentes détruites, comme chaque matin, par les flics, on ne voit pas grand chose en termes de violences policières.

En fait on comprend très vite que soit Moix bluffait et n’a rien à montrer (du moins rien de plus que ce qui tourne déjà sur Internet), soit il a effectivement quelque chose mais “on” lui a fait comprendre qu’il avait tout intérêt à la boucler. Je penche pour la seconde hypothèse, et j’en veux pour preuve le fait que d’une part l’interview avec un commandant des CRS, en civil avec un discours autre que la langue de bois officielle et dont on a vu quelques secondes sur un teaser du documentaire (2), a sauté au montage final. Et d’autre part la rencontre avec cet autre CRS, que Moix a connu à l’armée, qui n’apporte strictement rien au film hors la mise en valeur virile du réalisateur et le portrait lisse d’un flic dont on sent bien qu’il n’attend, en réalité, que l’occasion de vider sa gazeuse sur le premier Noir ou Arabe venu.

Cette séquence est assez dérangeante car Moix joue sur deux tableaux: d’un côté il prend le parti des migrants, en leur souhaitant même d’arriver à passer les barrages pour aller en Angleterre, et d’autre part il la joue lèche-cul avec les flics dont il prétend dénoncer les actions.

Tout événement médiatique attirant l’attention sur la situation kafkaïenne qui existe et persiste à Calais est a priori bonne à prendre, mais pour être crédible il faut avoir une posture claire: on peut être bénévole humanitaire, on peut être no-border, on peut être flic, on peut être journaliste et même journaliste engagé, mais il faut être cohérent et avoir un objectif qui soit autre chose que sa propre mise en valeur.

Le film de Moix permet effectivement de braquer les projecteurs médiatiques sur Calais et la situation des migrants pendant quelques heures, mais il ne nous apprend rien, n’apporte rien, au pire décrédibilise la problématique via une approche assez caricaturale de la situation et de certains personnages. Bref en ce qui me concerne le film est recalé.

 

Notes:

(1) https://www.arte.tv/fr/videos/080719-000-A/re-calais/

(2) https://www.dailymotion.com/video/x6dgru7

Ce blog contient plusieurs articles sur la situation des migrants dans le Nord de la France, par exemple:

 

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

2 réponses

  1. clement

    Le Vatican est un micro-état de 1000 habitants et de 44 hectares, concédé à l’église catholique par un certain Benito Mussolini.
    Comme toute nation, selon le droit maritime international, il peut autoriser un navire à utiliser son pavillon, lui donnant ainsi le droit de naviguer n’importe où en mer.
    Utilisons cette solution.
    L’Aquarius, géré par l’ONG « SOS Méditerranée », qui jusque récemment patrouillait la Méditerranée pour porter secours à des migrant.e.s en perdition, s’est vu retirer son pavillon par l’irréprochable république du Panama. Il est depuis bloqué à Marseille.
    Ecrivons au chef de l’état du Vatican. Demandons-lui d’autoriser l’Aquarius à prendre le pavillon du Vatican. Pour qu’il reparte au plus tôt aider tous ces gens en danger.
    Merci de signer (et de diffuser largement) la pétition :
    https://secure.avaaz.org/fr/petition/Le_Pape_Un_pavillon_pour_lAQUARIUS_1/?caSsEnb

    Merci pour eux.elles.

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