Coma et Conscience.

Le film Awake, de Joby Harod sorti en 2007, est fondé sur une observation terrifiante: sur les millions de personnes placées sous anesthésie chaque année lors d’opération chirurgicales, un petit pourcentage ne perd pas conscience. Prisonnière d’un corps qu’elle ne contrôle plus, incapable de signaler sa présence, la personne est néanmoins bien là. Elle entend, elle voit si elle a gardé les yeux ouverts, elle comprend. Est-ce qu’elle sent le bistouri qui lui charcute les chairs, cela je l’ignore et je ne veux même pas le savoir.

Pour ce qui concerne les états végétatifs pourtant, les comas induits suite à des accidents tel celui de ce pauvre Vincent Lambert, cas qui défraie la chronique depuis dix ans dans un sketch lamentable sur l’impuissance du Droit français à traiter la question de la dignité, on considère que la personne dans le coma est indiscutablement inconsciente tant que la médecine ne trouve pas une solution pour la ramener à elle.

Hypothèse que des études en cours depuis vingt ans remettent sérieusement en question.

En 2006 il fut observé pour la première fois qu’une femme, a priori en état végétatif, était en réalité consciente. Observation issue de scans IRM où l’on démontra que le cerveau de la femme répondait à des demandes verbales de l’opérateur. Son cerveau “s’allumait” comme s’allumait un cerveau “éveillé” en fonction de ce que l’on lui demandait d’imaginer. Enfermée dans un corps végétatif, cette femme comprenait ce que l’on lui demandait et y répondait au niveau neurologique.

La conscience cachée.

Cette forme de “conscience cachée” ou covert consciousness est désormais reconnue, et l’on estime qu’elle existe dans un cas sur dix. Une forme de conscience qui n’est pas constamment présente, qui va et vient et qui peut être “allumée” par différents vecteurs, par médicament ou par stimulation physique.

Cette recherche naquit avec un médecin anglais, Adrian Owen, du MRC Cognition and Brain Sciences Units de Cambridge. Après une décennie de recherche qui débuta en 1997 il put démontrer de manière indiscutable, chez certains patients, la réalité de cette conscience cachée .

Cette démonstration concernait des patients ayant eu des mois ou des années de convalescence végétative suite à un accident, mais un autre chercheur, Brian Eldow du Massachusetts General Hospital, entreprit en 2017 de tester des patients ayant subit des accidents cérébraux récents, toujours en soins intensifs, et considérés comme parfaitement inconscients.

Sur un “panel” de seize cas, quatre démontrèrent une évidente capacité consciente: invités par le chercheur à imaginer de serrer leur main droite, ces patients sous IRM “allumaient” le circuit neurologique correspondant à l’action demandée. CQFD.

Un autre médecin, Nicholas Schiff du Weil Cornell Medical College de New York, identifia également des patients en mode covert consciousness et tente aujourd’hui de leur donner un moyen d’expression. L’un d’eux, un homme en état végétatif dont la tête bougeait de manière sporadique et a priori aléatoire, fut équipé d’une souris informatique montée sur son front qui lui permettait d’actionner un clavier virtuel. Après un temps d’adaptation, le patient en question pu écrire un mail à Schiff acceptant de participer à son étude.

Cette étude portait sur les modalité de retour à la conscience “normale” de patients en état végétatif mais ayant accès, de manière aléatoire et pour des périodes plus ou moins longues, à des moments de conscience cachée (1). La première observation d’un lien entre le retour à l’éveil depuis un état de conscience cachée date de 1996, où un certain Louis Vilijoen, en état végétatif mais qui paraissait “nerveux”, se vit administrer une dose du calmant Zolpidem. Un quart d’heure plus tard, Louis ouvrait les yeux, tournait la tête et disait “bonjour maman” à sa mère qui était effectivement à ses côtés. Trois heures après il replongeait mais six ans plus tard, après de nombreux éveils temporaires, il se réveillait définitivement.

Les techniques de réveil.

Zolpidem n’était pas la panacée et ne “marchait” que sur peu de patients. La recherche démarrait sur d’autres produits. L’apomorphine, un médicament prescrit au malades de Parkinson, semble prometteuse mais d’autres techniques sont à l’essai: l’activation électrique du thalamus semble donner des résultats, tout comme l’activation du thalamus par ultrasons. Malheureusement, selon Schiff, ce type d’étude n’intéresse pas les financeurs et cela avance lentement.

Un patient longue durée qui se remet, et donc ne consomme plus de soins, n’est évidemment pas intéressant pour l’industrie pharmaceutique.

En France une équipe menée par Angela Sirigu du CNRS de Bron obtient de bons résultats par la stimulation du nerf vague qui lie le cerveau, le thalamus et plusieurs zones du corps. A l’université de Liège, en Belgique, Aurore Thibaut utilise un système non-invasif d’impulsions électriques activant / déactivant les cellules du cerveau. Et cela marche relativement souvent, à tel point que certains patients ont pu rentrer chez eux équipés d’une telle machine qui les “éveille” pour des périodes de conscience plus ou moins longues selon les cas.

La question centrale de l’éthique.

Tout ceci pose de réelles questions d’éthique car survivre à un accident cérébral en restant conscient peut être pire que l’état végétatif pur et dur. Ressentir la souffrance et être conscient de son dramatique prédicament n’a a priori rien d’enviable, d’autant que la personne concernée ne peut strictement rien y faire.

De même, et cela nous ramène à l’affaire Vincent Lambert, la discussion sur l’arrêt des soins pour un patient en état végétatif ne pourrait plus rester externe à la personne concernée. Elle pourrait être au courant du débat sans que personne ne s’en rende compte, elle pourrait avoir un avis que personne ne prend en compte. Et peut-on dès lors réveiller momentanément le patient pour lui demander s’il accepte de mourir? Difficilement, et cela serait tellement controversé que cela mènerait surtout à enrichir des avocats.

En effet de ce côté-ci de la barrière l’idée d’un état végétatif conscient est synonyme d’enfer. Mais selon les quelques études menées auprès de patients en mode conscience cachée capables de répondre à des questions simples, par le mouvement oculaire notamment, une majorité se déclare heureuse. Mais un bonheur lié à leur capacité d’entretenir quelques interactions avec leur environnement. Quid de ceux et celles qui ne le peuvent pas? Peut-on méditer indéfiniment?

J’ignore si Vincent Lambert a été testé pour état de conscience cachée, mais vu le contexte je présume que oui et que la réponse est négative sinon cela se saurait. Cette compréhension de la réalité des états végétatifs, associée à la réalité des fins de vie dans un environnement juridique flou faisant la part belle à l’acharnement thérapeutique (au profit donc du lobby pharma), mène à mon avis à une simple et unique conclusion: préparez les conséquences éventuelles d’un accident grave vous ôtant la capacité de décider de votre propre sort.

Définissez à l’avance ce que vous voulez que l’on fasse de vous en dernier ressort (2). Mais cette décision, autrefois théoriquement simple du fait que la mort vaut mieux que la souffrance éternelle (sauf pour les cathos intégristes bien sûr), doit désormais se faire en prenant en compte la possibilité d’une conscience cachée, voire d’un éventuel retour à la conscience éveillée des mois ou des années après l’accident.

Liens et sources:

(1) https://www.jsmf.org/grants/2013018/

(2)

Source générale: https://www.newscientist.com/article/mg24232360-800-shocking-evidence-shows-people-in-vegetative-states-may-be-conscious/

Note technique: l’état végétatif est un état où la personne ne donne aucun signe d’être consciente d’elle-même ni de son environnement, mais possède quelques réflexes et ses fonctions vitales. C’est un état un peu supérieur à l’état de coma, utilisé un peu légèrement dans le titre, qui se situe entre la mort cérébrale (impliquant l’incapacité à respirer par soi-même) et l’état végétatif.

Image titre: Calculs de Galilée sur l’Enfer de Dante.

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

5 réponses

  1. Merci de l’article.
    Je me pose, dès lors, la question suivante: De quelle manière est-ce que l’interprétation d’une conscience dite cachée peut mener à des conclusions tranchées?

    En d’autres termes:

    X est dans le coma et répond aux stimulis provoquer sur son cerveau. Est-on certain que ses “réponses” auront la même valeur qu’un oui/non oralisé?

  2. Benoit Soubeyrand

    Bonjour,
    Pouvez-vous m’indiquer le titre de la gravure illustrant votre texte s’il vous plaît ? Cordialement

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