Cluny, aux origines de la conquête spatiale.

La voûte céleste a toujours été une préoccupation clunisienne, une interrogation physique autant que spirituelle. Les abbés du moyen-âge savaient que la Terre était ronde, et disposaient d’une copie de l’œuvre de Ptolémée, l’Almageste, la bible de l’astronome de l’époque qui plaçait la Terre au centre de l’Univers. L’érudition des abbés était réelle, tout comme leur aspiration à la grandeur politique, matérielle et spirituelle. De la petite église villageoise qui accueillait les premiers abbés, un peu avant l’an mille, à la vaste abbatiale construite entre 1080 et 1220, l’élévation architecturale allait de pair avec la montée en puissance politique de l’ordre bénédictin.

Les moyens techniques et intellectuels des moines clunisiens des XIIIème et XIVème siècles, ceux-là ayant permis l’élévation de la Mayor Ecclesia, leur permettait d’imaginer d’aller bien au-delà du plus haut clocher de la Chrétienté de l’époque. A quelle distance se trouvait la Lune, Mars ou Jupiter? Quelle était la taille réelle du Soleil? Des êtres vivants habitaient-ils sur ces points lumineux, ces étoiles sans doute lointaines? Mais surtout, était-il possible de rendre visite à Dieu sans passer par la case de la mort puis celle, plus aléatoire, du pardon?

Abélard et la chapelle céleste.

Ces questions occupaient l’esprit et le temps de quelques moines férus d’astronomie et de mécanique. Marco Polo avait ramené de Chine la recette de la poudre noire, cette substance explosive qui permettait, judicieusement placée, de projeter des objets à grande distance. Une petite société savante se construisit autour de l’idée d’utiliser cette poudre pour envoyer une “chapelle céleste” vers le ciel.

Cette société choisit son nom en mémoire d’Abélard, cet encyclopédiste du XIIème siècle ayant tant aimé la belle Héloïse malgré les interdits du moment, et qui en paya le prix fort par une sévère chute de valeur boursière. Abélard fut reçu, à la fin de sa vie, par l’abbé clunisien Pierre le Vénérable qui, selon la légende, le prit en sympathie et couvrit quelques dernières rencontres entre le savant diminué et une Héloïse recluse au monastère voisin de l’abbesse Mac Hullot. De ceci naquit un traité à l’usage des femmes sur le septième ciel, d’où le double lien autant amoureux que spirituel entre Abélard et la société de la poudre, baptisée “Nos Amours Souvenir d’Abélard”, plus connue sous l’épigraphe NASA.

Petite parenthèse: Pour ceux et celles également intéressées par l’affaire du traité de physique érotique, je renvoie à la page qui prend son pied en cet autre article hautement culturel traitant, pour le coup, de musiques anciennes au cœur d’un septembre imaginaire.

La chapelle céleste, donc. La NASA bénéficia du patronage des abbés clunisiens de la fin du XIII et du début du XIVème siècle, ce qui lui donna les moyens de développer un prototype de lanceur de chapelles à deux étages dont il nous reste encore quelques traces. On voit, sur cette ancienne photo, la structure du premier étage correspondant à la partie propulsion, et le second étage faisant office de cellule (on dirait aujourd’hui “module”) pour deux moines et l’équipement standard des chapelles de l’époque: pinard, gaufrier, volailles, un banc de prière et une bible.

En voici une ancienne photo elle-même tirée d’une gravure d’époque, aujourd’hui perdue:

Si Dieu le Veut.

On remarque le bouclier thermique coiffant la capsule sur le haut de l’engin, pertinemment baptisé Si Dieu Le Veut, indiquant que la NASA avait déjà compris la prééminence des tuiles en matière d’exploration spatiale. Et de fait, la mise à feu effectuée autour de l’an 1340 ne fit rien d’autre qu’exploser le réacteur et les parois de l’étage de propulsion.

Les locaux racontent qu’en sept siècles plus aucune taupe ne fut jamais revue dans le voisinage du pas de tir, mais – et c’est là où se fait la jonction avec le presque présent – cette histoire n’avait pas échappé à un scientifique allemand, spécialiste en fusées, qui avait traversé Cluny au pas de tir de l’oie pendant la Seconde Guerre: un certain Wernher von Braun. Après la guerre, ayant fait allégeance à l’Amérique victorieuse, il revint à Cluny pour étudier l’affaire de plus près. De cette visite renaquit la NASA actuelle, dont tout le monde pense que l’acronyme signifie National Aeronautics and Space Administration, mais en fait non.

Plus important pour la recherche spatiale du XXème siècle, la reprise de l’idée du second étage et, plus généralement, du concept de lanceur à plusieurs étages. L’épigraphe SDLV gravée sur le prototype des moines clunisiens, signifiant à l’origine “Si Dieu Le Veut”, fut reprise par Von Braun & Cie comme acronyme de Stage Descent and Landing Vehicle (Etage de descente et d’atterrissage du véhicule), précurseur de l’Eagle, l’atterrisseur d’Apollo 11 qui se posait sur la Lune quelques vingt-quatre ans plus tard, en juillet 1969:

Ce lien fabuleux entre le moyen-âge clunisois et la conquête spatiale, lien malheureusement méconnu même des meilleurs historiens contemporains tels ceux que l’on croise, à la belle saison, en grande tenue dans les rues de Cluny, va pourtant revivre, peut-être, sous le ciel du XXIème siècle!

De Saint-Mayeul à Elon Musk.

Elon Musk est un entrepreneur surdoué d’origine sud-africaine, aujourd’hui connu via Tesla et, surtout, SpaceX, la société devenue en dix ans leader mondial des lanceurs spatiaux. Cette société est l’inventeur du booster réutilisable, et développe actuellement une fusée réutilisable pour emmener, à terme, des millions de gens vers la Lune et vers Mars. Musk développe aussi un vaste “port de l’espace” dans le sud du Texas, nommé “Starbase”, d’où jailliront puis atterriront les centaines de Starships dont nous voyons déjà les premiers essais:

Elon Musk recherche des lieux pour de futurs pas de tir. Je sais qu’on lui a présenté le pas de Calais, mais il l’a trouvé trop confiné. Fabricant de fusées à étages, prophète anarchiste autoproclamé de la symbiose entre l’Homme et la machine, entre le matériel et le spirituel, Musk a bien entendu fait un pèlerinage à Cluny. Et il compte y revenir, en force.

J’ai mes sources: les terrains initialement prévus pour un ensemble hôtelier intéressent Musk pour l’installation d’un port de l’espace. Installer une “Starbase” sur le site des origines premières de la conquête spatiale, voilà un symbole qui doit lui plaire, lui qui nomme ses plateformes mobiles d’atterrissage avec des noms tel “Bien sûr on t’aime encore”, tirés de la série de SF “Culture”, de Ian M. Banks, et ce n’est pas pour rien:

La Culture est une civilisation pan-galactique inventée par Iain M. Banks au travers de ses romans et nouvelles de science-fiction. Décrite avec beaucoup de précision et de détails, La Culture peut être considérée comme une utopie technique et philosophique à part entière. Il s’agit d’une société anarchiste : ni loi, ni hiérarchie, ni argent, ni propriété. Elle compte trente mille milliards d’habitants, mêlant dans une totale égalité humains, extra-terrestres, drones et intelligences artificielles.

https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Culture

Connais-toi toi-même.

Un pas de tir à quelques pas, mais sept siècles plus tard, de la butte de lancement raté du “Si Dieu Le Veut” clunisien originel. Certes ce n’est plus de la poudre noire mais un mélange de méthane et d’oxygène, certes le rapport poids/poussée ainsi que l’instrumentation de bord se sont un peu améliorés, mais l’esprit reste le même: s’élever à la rencontre de ce qui nous dépasse.

Le Dieu des moines qui faisait tourner le Soleil autour de la Terre et pousser les semailles, ou l’anarchie technologiste d’une société 2.0 sur Mars où il faudra aussi arriver à faire pousser des semailles, ne sont finalement que des déclinaisons temporelles différentes du même rêve. Les immenses et rutilants sextoys qui se dresseraient alors dans la campagne clunisoise, concurrence inédite à la domination séculaire des tours de l’Abbaye, feraient sûrement vibrer les âmes (et pas que) d’Héloïse et de l’abbesse Mac Hullot, celles-là mêmes dont le traité sur l’art de s’envoyer en l’air pourrait alors s’enrichir d’un chapitre supplémentaire.

Abélard, enfin, ce savant qui tenait cours à Paris, l’amoureux d’Héloïse séduite par les merveilles de la langue, homme de science à l’origine, malgré lui, de la plus mythique des agences spatiales, quel destin! Elon Musk nommera t’il sa nouvelle base clunisoise “Connais-toi toi-même”?

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

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