Le monde d’après, ou la Décohérence en Marche.

20h en ce dimanche 14 juin et, comme quelques millions d’autres, je prête une oreille au discours présidentiel. Je reviendrai ci-dessous sur quelques éléments mais je propose de considérer ce discours, et l’improbable réalité qu’il décrit, comme une expérience politique de la “décohérence”.

De la décohérence.

Nous sommes face à une situation digne de celle de la physique révolutionnée par le quantique voici à peu près un siècle. Le monde bascula alors d’une vision de l’univers solide et déterministe, à celle d’un océan de probabilités ne prenant corps, ne devenant “réel” que si l’on y prêtait attention, un processus que l’on nomme “décohérence”.

En physique la décohérence va de l’apparente irrationalité quantique vers la rationalité du monde classique. En politique c’est l’inverse: le socle rationnel disparaît au profit d’une apparente irrationalité, une dé-cohérence qui n’est pas pour autant une incohérence mais plutôt un écran de l’absurde placé entre la société et la caste au pouvoir (1).

Nous venons de vivre, et vivons encore pour partie, une expérience brutale de décohérence politique, sociale, économique et scientifique. La disparition du principe de l’analyse rationnelle que l’on attend de la part de toute instance de gouvernement, que l’on soit par ailleurs en accord ou non avec sa philosophe générale, a placé l’écran de l’absurde sur le devant de la scène et nous a plongé dans le corollaire de la décohérence: l’incertitude.

En physique quantique, le principe d’incertitude (dit de Heisenberg) déclare, en gros, qu’il est impossible de comprendre le processus de décohérence et qu’il faut donc s’en tenir, pour avancer, aux bribes “calculables”, c’est-à-dire a priori rationnelles, de la chose. Autrement dit, en recadrant sur le politique, il s’agit d’extraire de l’absurde des éléments a priori non-absurdes qui permettent de légitimer l’absurde sous un vernis de discours rationnel.

Le principe de l’absurde.

C’est ce principe qu’Emmanuel Macron utilise en parlant de “victoire” contre le Covid-19. Le sacrifice de l’économie sur l’autel de la santé aurait, selon Macron, sauvé des dizaines de milliers de vies. Rien, pourtant, ne justifie une telle affirmation. Et tout, en fait, montre à quel point la stratégie de confinement relève plus du suicide collectif que d’une quelconque “victoire”.

Parmi les nombreux articles questionnant le processus que nous venons de vivre, celui du Dr Jean-François Toussaint, Professeur de Physiologie de l’Université de Paris et directeur de l’IRMES, intitulé « Bilan du Covid-19 : Aurions-nous succombé à la panique ? »:

« …dès le début, certaines choses ont été prises pour ce qu’elles n’étaient pas. Nous n’étions pas en guerre, nous n’étions pas en position de suicide collectif, nous n’étions pas en situation de renoncer aux règles élémentaires ni d’écarter la rigueur de l’analyse. Celle-ci aurait dû continuer de guider nos actions, si nous n’avions malheureusement pas succombé à la panique.[…] »

https://up-magazine.info/decryptages/analyses/57167-exclusif-premier-bilan-du-covid-19-nous-avons-succombe-a-la-panique/

Ce blog maintient depuis trois mois un feu roulant de critique et de ré-information face à la propagande confinatoire, inutile d’y revenir ici sauf pour citer cet article du Professeur Christian Perrone dans le Figaro / Sciences du 12 juin, intitulé “Professeur Christian Perronne: «Combien de morts auraient pu être évités?»” qui débute ainsi:

La crise du coronavirus a plus durement touché la France que d’autres pays, parce qu’elle était gérée par des personnes, certes bouffies de certitudes, mais n’ayant pour la plupart aucune expérience de la gestion de crises sanitaires. Alors qu’il fallait se mettre dans une logique de médecine de guerre, où chaque jour compte, elles ont poursuivi leur train-train quotidien comme si de rien n’était. Nos dirigeants nous ont à plusieurs reprises fait la leçon, en disant que c’était facile de critiquer a posteriori, et de donner des conseils déplacés quand c’était trop tard.

https://www.lefigaro.fr/sciences/professeur-christian-perronne-combien-de-morts-auraient-pu-etre-evites-20200612?fbclid=IwAR1bR6raFL9RXMC3XQjDVsiWuK7QD8PJS0laBt2PqElgWhMyNtv_mjQ0G6I

Et sur les effets délétères du confinement, j’ajoute cet article paru le même jour dans Le Devoir:

Les effets secondaires psychiques et physiques induits par l’isolement social qui nous a été imposé par le confinement pourraient entraîner dans les années à venir des coûts en soins de santé aussi importants, voire supérieurs, à ceux de la COVID-19 elle-même, affirme un chercheur de l’Université McGill. Plus particulièrement, les effets délétères de la solitude engendrée par les mesures de distanciation physique pourraient accroître le nombre de diagnostics de la maladie d’Alzheimer au sortir de la crise.

https://www.ledevoir.com/societe/sante/580709/coronavirus-malades-de-solitude?fbclid=IwAR0HvocvxO7ZXzRk4wxqeEKPXTIZmg5r0W-MSI-nv2OrArbEVsSLIdIKG_s

Le seul vainqueur dans cette affaire est l’Absurde, cet avatar du totalitarisme porté par la répression et par la peur, qui vient de nous montrer avec quelle facilité nos supposés acquis en termes de liberté et de démocratie, nos siècles de philosophie censés émanciper l’Homme de sa condition de simple exécutant biologique, ne résistèrent pas à cette décohérence massive, à cette plongée au sein d’une improbable alternative totalitaire devenue soudainement très concrète.

Autant en emporte le vent de l’absurde.

Ce relativement bref mais, pour beaucoup, douloureux passage dans un espace-temps alternatif, là où l’absurde et la violence sont devenues les valeurs cardinales de l’Etat et de ses fonctionnaires, débouche aujourd’hui sur un monde aux rêves, aux intolérances, aux critiques exacerbées.

Tout comme certains ont tenté d’utiliser la crise du Covid pour imposer ou affermir leur fantasme totalitaire, d’autres aujourd’hui tentent de récupérer de vrais drames, et de vraies et graves questions de société tels la violence et le racisme policier, à des fins de marketing communautariste ou de posturation victimaire dont le ridicule n’a d’égale que la grandiloquence d’une hypocrisie commune: la surenchère à visée clientéliste.

Le simple citoyen, que huit générations séparent d’éventuels ancêtres esclavagistes, se voit désormais sommé de faire pénitence pour sa couleur de peau en ses propres terres, ajoutant ainsi à la décohérence confinatoire la décohérence racialiste d’un combat anti-raciste utilisant les mêmes termes, les mêmes armes identitaires que les “vrais” racistes.

La feuille de déroute.

Emmanuel Macron en appelle donc à l’unité et à la nécessité de réparer les dégâts de la “victoire” en travaillant plus, tout en se félicitant de sa gestion. Il en appelle également à une redistribution du pouvoir centralisé au profit des échelons locaux, ainsi qu’à un retour à une forme de souveraineté, un peu française mais surtout européenne. Il en appelle à changer de fonctionnement, à commencer par lui-même.

Superbe. Une vraie feuille de déroute. Non pas que les propositions de décentralisation et de moindre dépendance aux prédateurs américains ou chinois soient à jeter, bien au contraire. Cependant, jeter à la foule des mots-clés pris dans l’air du temps ne fait pas une politique. Cela peut faire, par contre, un carcan liberticide et oppressif justifié, cette fois, par une quelconque nécessité d’ordre économique ou géopolitique.

La politique de décohérence, une méthode d’avenir?

Dans un récent article pour le Club des Juristes, Edgar Morin s’inquiète de l’apparition d’Etats néo-totalitaires dans le sillage de la catastrophe globale associée au Coronavirus:

Nous pouvons craindre une énorme crise économique mondiale et que celle-ci, comme le fut celle de 1929, précipite la crise des démocraties en effondrements, suscite des états néo-autoritaires, et qu’au-delà, ces États néo-autoritaires se transforment en États néo-totalitaires disposant de toutes les techniques de contrôle et surveillance de plus en plus disponibles et de plus en plus sophistiquées.

https://www.leclubdesjuristes.com/blog-du-coronavirus/libres-propos/la-crise-sanitaire-du-covid-19-et-le-risque-detats-neo-totalitaires-par-edgar-morin/?fbclid=IwAR0dU22xHuc3m0ZwEAMHjhXKEUkr1-k3Rdik4XHAke9o6sJ4fuU2ZRHmuOY

Les auteurs historiques qui se sont penchés que la question du totalitarisme font le lien avec l’absurde, ce mode de gestion qui maintient une population dans l’incertitude constante. La hiérarchie peut changer les règles du jeu à tout moment (comme ce fut le cas pour le confinement) et la sécurité de chacun dépend alors de sa soumission et de son obéissance à l’absurde supérieur. Chaque niveau impose sa névrose à l’échelon subalterne tout en espérant la reconnaissance de l’échelon du dessus, cette accolade qui le rendra non responsable des conséquences de ses actes.

La décohérence s’éprouve en cascade du haut en bas de la technocratie. Elle est la technocratie (2). Cette décohérence, cette apparente irrationalité n’est en réalité ni incohérente ni irrationnelle car elle a un but: alimenter l’incertitude, maintenir un état de sidération propice à l’avancement de ses propres pions sous couvert, par exemple, d’état d’urgence.

C’est ce que les écoliers, notamment, découvrent à leurs dépens depuis un mois. C’est ce qui fait que, à l’échelle nationale et malgré l’ampleur du désastre, personne n’est responsable de rien sauf celui tout en bas de l’échelle, celui qui est dénoncé, verbalisé ou réprimé au nom de son irrespect de la toute-puissance de l’absurde (3).

Cette politique de la décohérence ayant été testée avec succès, dans le cadre du Covid, sur une bonne partie de la planète, on peut effectivement s’attendre à sa mise en application systématique. A moins que?

Liens et sources:

(1) https://zerhubarbeblog.net/2020/04/21/sainte-trinite-du-sante-supreme-de-la-technocratie-et-du-moralisme/

(2) https://zerhubarbeblog.net/2020/05/04/covid-19-et-la-lutte-entre-realisme-et-technocratie/

(3) https://zerhubarbeblog.net/2020/04/06/attestations-de-sortie-face-a-face-avec-labsurde/

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

4 réponses

  1. roc

    ” Nous n’étions pas en guerre,” ha bon ! ben moi j’ai bien l’impression que les Chinois sont en train de regarder l’incendie depuis la rive opposée !

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