Le 1er mai, remettons le diable à sa place.

Le diable existe, à n’en pas douter. Il s’incarne dans les sociopathes, ces êtres que l’on retrouve à tous les étages de la pyramide du pouvoir, qui ont pour seul horizon la maximisation de leur puissance, privilèges ou richesse, pour objectif suprême la valorisation maximale aux yeux du dieu, du chef ou du marché. Mais le champ du diable est bien plus vaste, et il se cultive.

Comme pour tout, un peu de diable enrichit le monde mais la monoculture de la diabolisation, elle, mène à l’assèchement des esprits dans l’enfer du manichéisme, des préjugés, des émotions de pacotille, de la victimisation “décolonialiste” ou identitaire et j’en passe.

Le diable a piqué à la tradition judéo-chrétienne l’idée que le faible ou le dominé est par essence bon, lui offrant ainsi la légitimité morale d’imputer à d’autres la souffrance d’une servitude pourtant souvent volontaire, comme aurait dit ce cher Etienne (1).

Le diable a compris que l’affect est plus efficace que la raison car il permet de se fondre dans des postures, dans des communautés d’esprit et/ou de corps dont la valeur se mesure à leur capacité à générer de la haine, à diaboliser l’autre. “L’enfer c’est les autres” disait-on, mais aujourd’hui c’est plus direct: “l’autre, c’est le diable”.

Pour Charles Rojzman, fondateur de la Thérapie Sociale (2) que j’ai eu le plaisir de rencontrer lors d’une conférence voici quelques années et qui est récemment passé sur la chaîne Thinkerview, ces sociopathes constituent quelques 20% de la société et on ne peut pas faire grand chose avec si ce n’est s’en protéger. Ce qui laisse 80% de gens avec lesquels il est possible de dialoguer mais qui sont prisonniers d’une société extrêmement fragmentée, une société qui voit le diable partout et c’est bien le but: diviser pour régner.

Si je paraphrase Rojzman, renouer le dialogue entre des êtres qui ne se ressemblent à priori pas demande, d’un côté, d’abandonner ses préjugés, ses croyances manichéennes et de l’autre, abandonner ce qu’il nomme le “vivre-ensemblisme”, l’idée qu’il faille tolérer tout et n’importe quoi au nom du vivre-ensemble.

L’équation semble incertaine: comment ne pas tolérer sans devenir intolérant? La méthode est l’échange sur des sujets qui intéressent les parties en relation, en excluant si possible les sociopathes de ces échanges. Des échanges qui permettent l’expression du conflit, de la colère dans le but de déraciner la violence.

Et là est la clé: la différence entre la violence et le conflit, étape nécessaire à la (re)construction, est que dans la première “l’autre” est considéré comme inhumain, comme le diable, alors que dans le second l’on se reconnait mutuellement en tant qu’êtres humains. Des êtres différents sans doute, mais animés du désir commun de trouver des solutions aux problèmes concrets qui nous affectent tous.

Pour Rojzman toujours, l’enjeu n’est pas de changer l’être humain, qui est ce qu’il est, mais de mettre en place les conditions familiales, sociales, économiques et politiques qui réduisent le niveau de peur et, donc, de violence et de haine. Le diable, fondamentalement, c’est la peur. La peur de la chute sociale ou économique, la peur de la différence, la peur de perdre ce que l’on pense posséder sont autant de vecteurs de diabolisation de l’autre et de refuge dans l’entre-soi.

Ah, l’entre-soi. Piège encore renforcé par les réseaux sociaux où chaque petit groupe, certain de sa supériorité, vire sans autre forme de procès toute personne ne marchant pas au pas de la pensée unique locale. Que ce soit dans les groupes racistes, néoféministes, islamistes, antifas, décolonialistes et tout ce que l’on voudra, on ne cherche que l’entre -soi et à abattre tout expression dissidente.

Chacun finit donc par hurler avec ses propres loups, tels ces “étudiants” américains, idiots utiles de la colonisation victimaire, qui scrutent chaque mot pour un signe hérétique susceptible de les traumatiser et de les envoyer se cacher dans leurs safe spaces (3).

Dans l’idéal il reviendrait au leaders politiques de définir et de mettre en oeuvre des solutions qui limiteraient grandement la peur sous toutes ses formes. Le système soviétique devait éliminer la peur économique en garantissant à vie le statut de chacun, mais malheureusement il introduisit en échange une foule d’autres peurs. La Chine actuelle tente d’éliminer la peur de l’insécurité en créant un Etat policier d’une sophistication inimaginable, mais évidemment elle réintroduit de ce fait la peur de tout le reste.

Le néolibéralisme mondialisé, enfin, celui auquel Macron & Cie nous exhortent de nous “adapter” (4) sous peine de disparition, est une usine à peurs formidable car fondée sur la performance et l’évaluation. “Valeurs” qui malheureusement définissent aujourd’hui également l’éducation, le loisir, la relation amoureuse via l’éternelle litanie des sociopathes comme quoi il n’y aurait pas d’alternative au darwinisme social.

Il est cependant nécessaire de ne pas chercher à isoler la violence au niveau qui nous arrange politiquement, mais de reconnaître la réalité pour ce qu’elle est: la violence, la sociopathie existent à tous les niveaux de la société, du gamin qui pourrit la vie du quartier aux patrons de multinationales qui corrompent le système à leur profit.

En ce matin de 1er mai il est possible que pas mal de gens, avec ou sans gilets jaunes, se retrouvent dans les rues de Paris et d’ailleurs pour clamer le droit à l’alternative. Comme le dit encore Rojzman, si Révolution il doit y avoir – et vu l’emprise des sociopathes sur les manettes du pouvoir on ne peut plus compter sur grand-chose d’autre – elle devrait se faire non pas sur une logique de victimisation et de revendication, mais sur une logique d’affirmation de la capacité qu’ont les humains, une fois délivrés des peurs inutiles, à créer de l’intelligence collective (5).

Vaste programme. Si la thérapie sociale de Charles Rojzman vise à résoudre les problèmes de violence au sein de la société, l’éducation visant à éviter ces problèmes en premier lieu est tout aussi nécessaire – l’éducation populaire bien sûr, celle qui:

.. associe les axes personnel, collectif et politique. S’écartant de la victimisation et d’un humanisme paternaliste, elle veut développer la puissance d’agir : pouvoir intérieur, pouvoir de, pouvoir sur.

http://www.alternativelibertaire.org/?Theorie-Qu-est-ce-que-l-education

S’il me fallait faire un vœu pour ce 1er mai, ce serait que le diable soit remis à sa juste place.

Liens et sources:

(1)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Discours_de_la_servitude_volontaire

(2)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9rapie_sociale

(3)
http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2018/10/15/31003-20181015ARTFIG00174-le-droit-de-ne-pas-etre-offense-la-nouvelle-censure-qui-sevit-sur-les-campus-americains.php

(4)

(5)

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.